Des représentants des soins palliatifs, dont Perrine Garnier et Agata Zielinski, xavières, s’expriment dans cette tribune, parue dans La Croix le 31 octobre dernier.

Ce début d’été 2019 a vu la vie d’un homme et sa fin, les déchirements de sa famille et les questions complexes soulevées à cette occasion, déchaîner les passions et susciter un grand nombre de commentaires et d’opinions contradictoires. La situation dramatique de M. Lambert, la judiciarisation de sa situation et la médiatisation du conflit familial ont incité l’Église à prendre la parole. Cette parole était attendue et légitime au regard de l’engagement de l’Église dans les pratiques et dans la réflexion éthique sur les questions de fin de vie.

Cependant, certaines prises de position, parfois approximatives dans leur fondement médical ou lapidaires dans leur formulation, ont été source d’incompréhension, de malaise ou même de blessure pour nombre de membres des équipes de soins palliatifs, professionnels ou bénévoles, croyants ou non. Alors que le dernier ouvrage du groupe conduit par Mgr d’Ornellas, Fin de vie, un enjeu de fraternité (1), avait été reçu comme une parole éclairée et éclairante sur le sujet, ces prises de parole ont davantage été perçues comme un jugement porté sur la pratique d’accompagnement déployée en conscience par les soignants. L’extrême attention portée par les équipes de soins palliatifs à chaque patient, chaque famille, le souci de n’accompagner qu’au singulier, au cas par cas, de ne faire que du sur-mesure et jamais de prêt à porter ont ainsi parfois semblé oublié, au profit d’un « prêt à penser » sans doute plus rassurant, mais parfois réducteur…

La complexité de la situation de M. Lambert et le fait que nul ne disposait de la connaissance de la situation, excepté l’équipe qui l’accompagne, nous ont empêché, nous soignants et accompagnants, de nous prononcer sur le fond. En effet, dans le respect de l’éthique et dans le cadre de la loi, c’est au discernement de l’équipe et à la conscience éclairée du médecin qu’est confiée la décision thérapeutique proportionnée à la situation du patient. Le principe éthique de décision dans l’incertitude a toujours guidé notre refus de prendre position en surplomb d’une situation d’une absolue singularité.

Cependant nous soulignons que la loi a été respectée, dans son esprit comme dans sa lettre, avec la mise en place d’une procédure collégiale dont l’objectif était de défendre au mieux les droits du patient et de prendre la décision la mieux adaptée dans l’état actuel de nos connaissances.

Nous réaffirmons que la loi Claeys-Leonetti permet de prendre des décisions médicales respectueuses des droits des personnes malades même dans des cas d’une grande complexité et qu’aucune loi ne saurait régler tous les conflits et apaiser toutes les souffrances. Nous constatons également qu’en fin de vie ou lorsque la conscience est profondément altérée les patients ne semblent pas ressentir la faim et la soif. Une nutrition et/ou une hydratation artificielles contraintes relèvent de l’obstination déraisonnable et lorsque l’équipe soignante évalue qu’elles peuvent être source d’inconfort, elles peuvent être interrompues. Les soins de confort restent essentiels et la vigilance des soignants sera accrue.

Les soins palliatifs sont nés d’une révolte et d’une colère contre une médecine qui morcelle et qui divise l’homme. Ils sont nés aussi de la curiosité, des questions, et de l’obstination de certains : Comment écouter l’homme souffrant, comment entendre la globalité de sa plainte, comment répondre sans enfermer, comment aider à vivre à l’ombre de la mort ? Inlassablement ces pionniers ont cherché des réponses et suivi toutes les pistes : la médecine et la philosophie, la science et la théologie, l’anthropologie et la technique sans en négliger aucune. Parce qu’ils ont cru que c’était là la dignité de l’Homme.

Sans relâche ils ont dit que ce n’est pas seulement l’affaire de la médecine, des seuls médecins encore moins, mais celle de tous les soignants, de toute la société. Les équipes de soins palliatifs (certes en nombre insuffisant) sont au côté des personnes malades et de leurs proches au nom de notre société tout entière qui vient dire à celui qui part qu’il a du prix pour elle, qu’il compte jusqu’au bout et qu’il va manquer à notre communauté humaine.

Non, nous ne voulons pas d’une civilisation du déchet ou de l’abandon. Non, nous n’oublions pas les personnes même quand leur conscience est réduite ou disparue. Non, nous ne laissons pas mourir de faim ou de soif ceux qui nous sont confiés.

Oui, nous pouvons prendre le temps qu’il faut pour nous interroger sur le sens des soins apportés, sur les limites raisonnables à l’utilisation des techniques disponibles et sur le respect des volontés exprimées dans le cadre de la loi.

Oui, quand un patient est maintenu en vie par la technique, nous en questionnons le sens sans jamais préjuger de la réponse et nous essayons de comprendre au plus juste quel aurait été le choix de ce patient singulier.

Oui, nous acceptons qu’en cas d’obstination déraisonnable, de l’arrêt de ces traitements de maintien en vie, la mort puisse advenir.

Et oui, bien sûr, nous souhaitons poursuivre le dialogue, être questionnés sur nos choix et expliquer mieux que nous ne l’avons fait jusqu’ici ce qui est l’essence de notre métier et son immense complexité : Prendre soin.

Les signataires

Olivier Mermet, médecin, président de la SFAP (Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs), Frédéric Guirimand, médecin, maison médicale Jeanne Garnier, Marie-Dominique Trébuchet, théologienne, bénévole d’accompagnement, vice-présidente de la SFAP, Anne de la Tour, médecin, ancienne présidente de la SFAP, membre du CA, Perrine Garnier, xavière, médecin, maison médicale Jeanne Garnier, Jean-François Richard, médecin, maison médicale Jeanne Garnier, Claire Fourcade, médecin, vice-présidente de la SFAP, Agata Zielinski, xavière, philosophe, CA de la SFAP, CA de l’Association des Dames du Calvaire

(1) Editions Salvator, mars 2015, 160 p., 15 €