Passionnée de cinéma, Marie Guillet nous propose son regard sur un film. Ce mois-ci : The Kid, de Charlie Chaplin.

The Kid : ce film fait partie du patrimoine culturel du cinéma. A ce titre il est digne d’intérêt. Tourné il y a presque cent ans, ce film est muet. Quelques phrases vont ponctuer le récit. Il est un des premiers longs-métrages dans l’oeuvre de Charlie Chaplin.

Ce film résiste au temps même si le cinéma a beaucoup évolué depuis. Il continue à nous toucher. Je voudrais me risquer à en faire une lecture interprétative  en m’attachant aux personnages principaux  afin de saisir quelques aspects du  message qu’il laisse entrevoir et qui peut nous rejoindre encore aujourd’hui.

Le premier personnage qui ouvre le film est une mère avec un enfant nouveau né.

Elle sort d’un hospice de charité qui a tout l’air d’une prison : une grille fermée à clé, deux gardiens qui n’ont rien d’avenant.  Une parole écrite : « une femme dont le péché est d’être mère. »
La femme est seule avec son bébé dans les bras et pendant qu’elle avance, comme en surimpression nous apercevons le Christ portant sa croix, seul lui aussi. Pourquoi apparaît-il ici ? Que nous est-il suggéré? Deux choses semble-t-il :

Cette femme est dans la solitude et l’épreuve (nous verrons qui est le supposé père ) ; elle porte lourdement cet enfant comme sa croix, elle se débat dans un conflit intérieur qui la poussera à l’abandonner et à vouloir revenir sur ce geste mais plus tard et trop tard !!

Nous pouvons aussi comprendre avec cette évocation du Christ portant sa croix qu’il est justement venu ouvrir le chemin vers Dieu en rejoignant tous ceux qui sont dans l’épreuve, dans la pauvreté, la vulnérabilité sans issue apparente. Il est aussi celui qui est venu pour le pardon des péchés.  Nous pouvons, nous qui regardons le film, y voir comme une allusion au mystère de l’Incarnation mais aussi de la Rédemption.  Le rapport à Dieu sera discrètement présent tout au long du film.

Dans son combat intérieur la femme ne peut faire face à ce qui l’accable : elle va déposer son enfant dans une voiture stationnée dans un quartier riche. Lorsqu’elle reviendra pour récupérer son enfant la voiture aura disparue. Plus tard, sortie de la pauvreté, elle est devenue une actrice célèbre. Nous la voyons visiter les plus pauvres dans le quartier où vit Charlot et le Kid. Dans son conscient elle semble avoir oublié son enfant abandonné jusqu’au moment où une maman visitée par elle lui met son bébé dans les bras. Sous le coup d’une forte émotion elle revit ce moment où elle avait son propre enfant dans les bras.  Elle est habité dès lors par le désir de le retrouver.

Regardons maintenant Charlot.

Un matin au hasard de sa marche il se retrouve dans un quartier pauvre dans le coin des poubelles. Là il entend pleurer l’enfant  qui est  là comme un objet abandonné. Il le prend dans ses bras pour aussitôt  chercher à s’en débarrasser. Toutes les ruses qu’il va tenter échoueront et il finira par se retrouver assis avec le bébé dans les bras et il découvre alors le papier déposé sur l’enfant : « Aimez cet orphelin prenez soin de lui ».
Il prend ce message comme s’il lui était adressé personnellement. Rentré chez lui avec l’enfant, il va mettre en œuvre ce qu’il a lu sur le message : l’aimer et prendre soin de lui. Le premier geste qu’il fera c’est de  lui donner un nom. N’est-ce pas le rôle du père de donner un nom ? Et du coup d’objet abandonné l’enfant devient sujet.
Tout en assumant son rôle avec amour, Charlot reste ce qu’il est : roublard vivant du système débrouille – le seul à sa disposition dans la misère qui est la sienne – pour sauver sa peau et celle de l’enfant. Nous embarquons avec lui dans  une série de sketchs qui nous entraînent dans une alternance de sourires, de rires, d’émotion où les larmes ne sont pas loin !!
Charlot roublard ne mentira pas lorsqu’il s’agira de  son lien à l’enfant il montrera dans sa naïveté le papier trouvé sur l’enfant au médecin qui l’interroge sur sa paternité.  Cette vérité avouée ouvrira le dénouement final de l’histoire.

L’enfant, le Kid, est émouvant, touchant.

Il porte en lui déjà, quelque chose de celui qui l’a adopté et qui est devenu son père.  L’amour tisse des liens de ressemblance. Même complicité, même capacité à se débrouiller par tous les moyens, même simplicité à se réjouir des petits rien de la vie. Un enfant dans sa vie quotidienne qui aura les mêmes réflexes que n’importe quel enfant.

Ce film nous donne à voir des figures d’humanité pétries de mélanges qui nous touchent et nous rejoignent.

Charlot est à la fois pauvre, fragile, voire dans une misère quasi extrême, mais il garde intacte toute sa capacité, de prendre soin de l’autre. On pourrait dire un truand au grand cœur ! Un homme mêlé et pourtant avec un cœur ouvert capable d’aimer. « Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères c’est à moi que vous l’avez fait » ! ou encore ce refrain pascal : « Où sont amour et charité Dieu est présent ».

Ce film vient nous toucher par ce poids d’ humanité mêlée, fragile ; pour pauvre, et misérable qu’elle soit elle n’est jamais écrasée car elle garde la capacité à aimer. Ce mélange nous rejoint et traverse nos vies. A aucun moment le film ne développera une charge contre les riches. Simplement il manifeste que la grande pauvreté, voire la misère, n’est pas un obstacle à l’amour. Dans cette situation, la pauvreté, au lieu d’anéantir, suscite une grande créativité et une ingéniosité débordante.
Oui, le Kid est un film au ras de l’humain avec son poids de chair, d’ombre et de lumière, de mensonge et de vérité.

En nous touchant, le Kid peut-être une invitation à relire dans nos vies les moments, les rencontres qui ont changé le cours des choses où ce qui aurait pu être un mal se change en bien et ouvre un chemin de vie. Il nous invite à croire pour nous-mêmes et pour ceux que nous rencontrons que, quelles que soient les épreuves qui arrivent, nous gardons toujours au fond de nous, si petite soit-elle, cette capacité d’aimer et de prendre soin de l’autre.

Ce film étant tombé dans le domaine public, il peut être visionné ici…