En réponse à la lettre du Pape François au Peuple de Dieu en août 2018, les Supérieur(e)s Majeur(e)s Ignacien(ne)s apportent leur contribution au débat par leur expérience et leurs questions comme hommes et femmes en Eglise.

Religieux et religieuses ignatiens, nous essayons de vivre de l’esprit d’Ignace de Loyola qui recommandait de « sentir avec l’Eglise », c’est-à-dire d’avoir le sens de l’Eglise. A l’heure où notre Eglise traverse une crise importante, le pape François invite le peuple de Dieu à relever le défi, à lutter contre le cléricalisme qui fait le lit de « l’entre-soi » et d’une conception abusive de l’autorité. Encouragés par cette invitation du pape François, nous désirons apporter notre témoignage.

La vie religieuse ignatienne est constituée de communautés d’hommes (les jésuites, et les Pères blancs) et de communautés de femmes (très nombreuses). Nous nous sentons bénéficiaires d’un même héritage spirituel. Les novices, hommes et femmes, apprennent ainsi dès les premiers mois de leur vie religieuse à se rencontrer, à se connaître, à se former ensemble. Bien souvent nous nous retrouvons ensuite, avec des laïcs de spiritualité ignatienne, au service d’une même mission dans des centres spirituels, des revues, des lieux de formation, des propositions pour les jeunes… Depuis longtemps, et à l’origine grâce à des jésuites qui les y ont encouragées, des femmes parmi nous accompagnent les Exercices Spirituels, ces Exercices qui sont le cœur et la source de notre spiritualité, de notre vie religieuse et de notre mission. Elles forment et supervisent d’autres accompagnateurs, qu’ils soient laïcs ou prêtres. Sans vouloir prétendre que la collaboration entre hommes et femmes soit toujours simple entre nous, nous constatons cependant qu’elle est essentielle à la fécondité de notre mission.

La diversité de nos insertions nous donne aussi d’entendre des échos très divers de la vie de l’Eglise en France. Nous rendons grâce pour toutes les expériences de fraternité qui se vivent dans l’Eglise, à tous les niveaux : diocésain, paroissial, communautaire… Toutefois, nous ne pouvons taire le malaise et les difficultés grandes ou petites que vivent beaucoup d’entre nous, en particulier des religieuses qui exercent avec compétence une responsabilité pastorale, dans une Eglise où le dernier mot revient à un prêtre, y compris lorsqu’il n’est pas requis qu’il en soit ainsi.

Beaucoup de sœurs et de femmes laïques ont une mission de formation. Pourtant, leur travail (recherches, accompagnements, interventions…) reste souvent dans l’ombre tant il est habituel d’accorder plus de crédit à la parole d’un prêtre, fût-il moins compétent. Les directives canoniques (c.766) concernant l’homélie réservée aux ministres ordonnés n’empêchent pas de confier parfois la prédication à d’autres ; ne serait-il pas souhaitable d’avancer en ce sens lorsque les circonstances y invitent (fête de la vie consacrée ou fêtes auxquelles tel ou tel institut est, par charisme, plus sensible, ou en fonction des expériences ou compétences de telle ou tel) ?

Un autre point nous préoccupe encore : nous constatons que, dans certaines paroisses, non seulement les filles ne peuvent plus être servantes d’autel, mais les femmes elles-mêmes ne peuvent pas donner la communion. Aucun argument théologique ni liturgique ne fonde une telle pratique ; il est même paradoxal de constater que ce sont essentiellement des femmes qui portent la communion aux malades, dans le Service Evangélique des Malades ! Quelle image de l’assemblée est ainsi donnée à voir ? Quel symbole est mis en valeur avec de telles pratiques ? Est-ce celui d’une saine relation hommes-femmes, ou bien celui d’un espace sacré où seuls les hommes et les garçons auraient droit d’accès ? L’état baptismal ne donne-t-il pas accès à la plénitude de la vie chrétienne, que l’on soit homme ou femme ? Là où l’ordination n’est pas requise – comme c’est le cas pour la distribution du pain eucharistique -, pourquoi faire des différences entre hommes et femmes ?

De telles attitudes relèvent sans doute d’une peur, en large partie inconsciente. Certes, la peur d’un délitement des identités, dans notre société, existe bel et bien. Nous comprenons cette peur, et ne la condamnons pas. Mais n’est-il pas dommage de porter atteinte, à cause d’elle, à la nouveauté évangélique ?

Notre désir est de travailler à des relations plus évangéliques entre hommes et femmes dans l’Eglise. C’est à une femme, Marie de Magdala, que le Seigneur a confié la première annonce de sa Résurrection ; ne craignons pas d’en tirer tous les enseignements !