Jour après jour pendant la Semaine Sainte, Colette Hamza nous propose une brève méditation de l’évangile…

Lundi saint

« Six jours avant la Pâque…Marie avait pris une livre d’un parfum très pur et de très grande valeur ; elle répandit le parfum sur les pieds de Jésus qu’elle essuya de ses cheveux ; la maison fut remplie de l’odeur du parfum. »
Avant d’être livré aux mains des hommes, voici Jésus entre celles d’une femme…
Marie, figure de toutes les femmes, de toutes les Marie qui l’ont porté, bercé, caressé, embaumé….
Celles qui se sont tenues auprès de lui dans son sommeil d’enfant comme dans celui de la mort…au pied de la croix comme devant la pierre du tombeau….
Maltraité par les hommes, voilà Jésus entre des mains de femme, des mains hospitalières, qui prennent soin et qui consolent…non que les femmes ne soient pas capables de violence…mais les voilà en hâte d’accueillir, de tout offrir, de s’offrir, tel un flacon brisé, de se répandre tel un parfum ou un baume pour le bien aimé.
Car elles ont bien senti ces femmes, sans toujours bien comprendre, que plus qu’un maître à servir, il s’agit du Bien aimé à recevoir, à contempler, tant qu’il est là, sans compter dans la gratuité, le don total.
C’est Jésus qui est là, le Bien aimé qui se donne à aimer, le Bien aimé qui se donne ici et maintenant, se répand en nos vies comme un parfum, en excès de lui-même.
Donnant sa vie pour que nos vies soient, en excédant, remplies de l’odeur de son parfum.

Mardi saint

Arcabas - Les pèlerins d'Emmaüs - détail

De l’excès d’amour…à la trahison et au reniement… « L’un de vous me livrera ». Seigneur qui est-ce ? » interrogent les disciples ?
Serait-ce moi ?
« Judas prit la bouchée et sortit aussitôt. Or il faisait nuit ».
Il fait nuit au dehors comme en lui-même…comme il peut faire nuit en nous…enténébrés de nous-mêmes parfois, oubliant que dans un moment d’exaltation nous avions dit comme Pierre « Je donnerai ma vie pour toi ! »…
Mais la ténèbre a eu raison de nous au point de ne pouvoir le suivre sur son chemin.
« Là où je vais, tu ne peux me suivre maintenant » dit Jésus. Pour le moins pas pour l’instant…un temps viendra « Tu me suivras plus tard » …
Demander cette grâce de le suivre un jour jusqu’au bout du chemin, demander cette grâce pour chaque jour lorsque l’ombre de la nuit s’épaissit, quand la vie se fait plus lourde, quand les malheurs nous assaillent, que l’espérance faiblit, que l’incompréhension nous envahit, ou que la colère nous tenaille…. Lui seul peut nous donner la force de cette traversée.
Prions, confessons avec le psalmiste :
« En toi Seigneur j’ai mon refuge, garde moi d’être humilié pour toujours… sauve-moi, sois le rocher qui m’accueille…ma forteresse et mon roc…Seigneur mon Dieu tu es mon espérance »

Mercredi saint

Arcabas - Les pèlerins d'Emmaüs - détail

« Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats. Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme la pierre : je sais que je ne serai pas confondu. »
Comme le serviteur d’Isaïe Jésus va « avec détermination » vers ceux qui vont le violenter.
Il va, non par bravoure, appuyé sur ses seules forces, mais conscient de ce qui l’attend, il est entièrement livré « à la façon » du Père, l’oreille éveillée à sa parole, greffé dans l’amour du Père, sûr que « le Seigneur écoute les humbles, qu’il n’oublie pas les siens emprisonnés » comme le chante le psalmiste.
Il va…comme une force de vie au-devant de la mort, une force de vie plus forte que la mort….
Il va humble et déterminé renversant la violence des violents par l’abandon de soi.
Il va humble et déterminé, renversant la haine des possédants en se dépossédant lui même
Il va humble et déterminé, renversant l’image de Celui que l’on attendait, renversant l’image même de Dieu…non parce qu’il laisse l’innocent entre les mains de ses bourreaux mais parce qu’en cet instant Dieu ne se dérobe pas, c’est Dieu lui-même qui se tient là.
Il se tient là, visage de ceux et celles qui aujourd’hui même, souffrent violence.

Jeudi saint

« Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde au Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout »
Au moment où Jésus donne sa vie, pas de discours…un geste…
« Il se lève de table, dépose son vêtement et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds de ses disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture ».
En ce jeudi saint, l’évangéliste Jean ne nous donne pas le récit de l’Institution eucharistique ni le menu du repas…il nous livre le geste de Jésus autour de la Table, celui du lavement des pieds…une eucharistie du corps, des pieds de ses disciples….
« Comme ils sont beaux les pieds du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle qui annonce le salut » » proclamait Isaïe
Ainsi à l’heure de mourir, avant d’être livré aux mains des hommes, voilà Jésus prenant entre ses mains, ces pieds d’hommes, poussiéreux…Il se salit les mains…à moins qu’il ne veuille garder un peu de notre poussière en ses mains avant d’aller vers le Père, pour ne rien oublier de notre humanité et la lui présenter !
Voilà donc Jésus agenouillé, honorant, prenant soin des pieds des futurs messagers…
Ce geste d’esclave devient un acte solennel qui dépasse toute mesure et que Pierre, autant que nous sans doute, ne comprend pas et refuse même d’abord « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ».
Un geste d’amour en écho à la parole d’amour « il les aima jusqu’au bout » …En Jésus geste et parole coïncident exactement….
Désormais le disciple ne pourra parler sans servir en même temps… » « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez vous aussi comme j’ai fait pour vous ».
Les disciples revenus de l’angoisse, de la peur, du reniement…pourront courir sur ces pieds lavés par les mains de Jésus…habillés de sandales de lumière, pour porter au monde « la bonne nouvelle qui annonce le salut ».
Ils pourront à leur tour faire ce qu’il a fait pour eux, aimer comme il les a aimés….
Vivre le mémorial de sa Pâque, autour de la Table, une Table qui n’a sens que dans l’agenouillement aux pieds du frère, de la sœur, de tous les frères et sœurs, sans exception… « chacun comme unique, une multitude d’uniques ».

Vendredi saint

Christ aux outrages - Arcabas

« Bien qu’il soit Fils il apprit par ses souffrances l’obéissance »
Quelle est cette obéissance dont nous parle la lettre aux Hébreux à propos de Jésus en sa passion ?
Comment a-t-il pu apprendre l’obéissance, lui qui est l’obéissance même, ajusté à la volonté du Père totalement ? Comment a-t-il pu l’apprendre, lui qui « n’a été que oui », ce fils de complaisance que le Père nous a invité à écouter, pour de lui, apprendre l’obéissance.
Il s’est livré, à ceux qui venaient l’arrêter « c’est moi, je le suis », abandonné « la coupe que m’a donnée le Père vais-je refuser de la boire ? », il s’est laissé saisir, ligoter, emmener « Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple ».
Obéissant aux Écritures, aux évènements, aux hommes….
Et c’est peut-être entre les mains des hommes qu’il apprend l’obéissance, qu’il apprend en fait ce qu’entre leurs mains, elle devient.
« Ils le crucifièrent et deux autres avec lui, un de chaque côté et Jésus au milieu ».
D’une obéissance qui est écoute libre des enfants bien aimés, nous l’avons travestie de nos servitudes, de nos complicités avec le mal, de nos peurs d’un jugement, de nos attentes de récompense, de nos désirs de posséder…. Jusqu’à clouer en croix….
Jusqu’à l’extrême, le Christ a incarné l’obéissance du Fils unique, à contre-courant de notre humanité qui croyait t’obéir Père et t’honorer, en le rejetant et en le faisant mourir.
Nous n’avons pas su laisser creuser notre oreille pour écouter ta voix dans la sienne… et nous l’avons livré, croyant te rendre un culte par de vains sacrifices…quand il fallait ouvrir les mains pour accueillir de Lui le don suprême, le pardon.
« Voyant sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait il dit à sa mère : « Femme voici ton Fils, puis il dit au disciple « voici ta mère ».
Jusqu’au bout du don…Le contempler « lever les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » simplement en mendiants de l’amour qui déborde de ce cœur transpercé….
« Conduit à la perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel ».

Samedi saint

« Descente aux enfers, la vie à vif agit, mortelle à la mort même » écrit le moine Cassingena Trevedy…. Samedi saint, jour des aromates et du silence…
Quand les disciples se cachent encore, les femmes et Marie la première, veillent en silence offrant à Dieu ce silence comme ultime parfum….
En ce jour, le Bien-Aimé visite les lieux profonds et obscurs de nos mondes pour y rétablir la lumière….
En ce jour écoutons à travers cette belle homélie ancienne pour le grand et saint samedi que nous propose la liturgie des heures, écoutons la voix du bien aimé :
« C’est moi ton Dieu qui pour toi suis devenu ton fils ; c’est moi qui, pour toi et tes descendants te parle maintenant et qui par ma puissance ordonne à ceux qui sont dans les chaînes : sortez. A ceux qui sont dans les ténèbres soyez illuminés. A ceux qui sont endormis relevez-vous. Je te l’ordonne : Éveille-toi ô toi qui dors, je ne t’ai pas créé pour que tu demeures captif du séjour des morts. Relève-toi d’entre les morts : moi je suis la vie des morts. Lève-toi œuvre de mes mains ; lève-tôt mon semblable qui a été créé à mon image. Éveille-toi, sortons d’ici. »
Tendons l’oreille…écoutons…Silencieusement, mystérieusement, la vie creuse ses veines pour advenir au jour.
Rien d’autre à dire…à vivre … que l’attente silencieuse…d’une espérance.

Jour de Pâques

Ange de résurrection - Arcabas

En ce petit matin ténébreux par bien des aspects encore, une femme Marie de Magdala va vers le tombeau du Bien-aimé…elle va, comme nous, bouleversée par les évènements, la plainte au cœur, l’angoisse, l’incertitude, la peur du lendemain, la solitude…toujours en quête.
Et cette quête est une hâte car la douleur court en elle. Dans ce chemin de bon matin, où il fait encore sombre, il y a comme une urgence à devancer le jour.
Que vient-elle faire là, les mains vides, sans aromates…elle n’a que sa mémoire lourde.
Et voilà que la pierre est enlevée. Voilà que les choses ne se présentent pas comme elle s’y attendait…
Devant cet inattendu une seule pensée, on a profané la tombe, « on a enlevé le corps du Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis »
Marie Madeleine, ne peut, pas plus que nous, imaginer l’impensable !
« Nous ne savons pas où on l’a mis »
Nous ne saurons jamais par avance où la Vie nous attend et nous rejoint, au plus obscur et au plus bas sans doute, de nos chemins.
Là où l’on ne pensait pas, là où l’on ne croyait plus, jusqu’au plus nocturne et aride désert, un jardin de lumière.
La vie surgit toujours lorsque nous sommes occupés par d’autres plans. Elle fait toujours un pas de côté, prend des voies de traverses loin de nos itinéraires bien balisés.
Elle prend le visage d’un inconnu, ange ou jardinier, elle franchit nos larmes, se dit dans un nom redonné… « Marie ».
Elle nous tire hors de nos soliloques, de nos ressassements, et ouvre une relation, un dialogue qui nous rendent à nous-mêmes.

L’inouï advient, un relèvement, une aurore pascale que rien ne pourra plus arrêter ni retenir….
« Ce qui fut en lui était la vie et la vie était la lumière des hommes et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisi ».

Les yeux s’ouvrent, « J’ai vu le Seigneur » surabondance de Vie, Il se tient là, où nous ne savions plus, et nous y tient et nous envoie.
« Va trouver mes frères » …. Va dire la Nouvelle… !