Marjan est un peintre contemporain dont les œuvres s’enracinent dans une histoire bousculée – traversée trop tôt par la violence et la peur – mais habitée par une présence nourrissante et bienfaisante. En cette année dédiée à l’espérance, nous vous proposons de découvrir quelques-uns de ses textes et de l’entendre au rythme de ses tableaux dans son petit film « Dieu, la quête d’un peintre ».
Biographie – par Marjan
Je m’appelle Marjan. Je suis né le 27 février 1979. J’ai travaillé durant 23 ans dans la prise en charge des personnes à mobilité réduite dans les gares parisiennes. Je vis depuis 2022 avec ma famille en Ardèche au milieu des montagnes, des rivières et des vieilles églises. Je suis devenu aide-soignant en décembre 2024 et depuis je travaille dans une MAS à l’hôpital.
Violences et présence
Si l’aurore de ma vie a vu naître autour d’elle des scènes de violence et des états de peur qui vous dépouillent trop tôt de l’innocence de l’enfance, elle a aussi été la complice d’une présence au fond de moi, qui m’a nourri de toute l’affection, de la beauté et de la science qui me faisaient défaut, trop souvent au dehors.
Je ne pourrais jamais raconter véritablement mon chemin, sans vous confesser avec beaucoup d’émotions, qu’il a été l’histoire d’une âme habitée et transcendée par une mystérieuse présence intérieure qui a fait jaillir à l’extérieur l’embrasement du dedans.
C’est ici le secret insoupçonné par mon environnement, qui agit sur mon âme et la projette dans des états extatiques si mal connus, et que depuis l’âge de 12 ans, j’ai fui la camaraderie pour vivre seul dans une cellule pleine d’amour et de fulgurances, qui a fait de moi un être de l’introspection. Ne vivons-nous pas là où nous y trouvons notre plus grande joie ?
Ma jeunesse n’a été qu’un long isolement psychique car à cet âge-là, nous n’avons pas les mots ni la légitimité pour être entendu par un adulte. La nuit, le jour, sans cesse, sans relâche, comme une urgence qui mène le rythme de votre vie psychique à travers des états contemplatifs profonds, j’ai été le lieu où la vie se dévoilait à travers le spectre d’une présence infinie.
On ne choisit pas d’être ainsi. On y apprend avec l’âge à y mettre des mots et à se situer par rapport au monde. Je lisais des livres comme on attend avec urgence, de comprendre qui on est et à se découvrir à travers l’identité d’un autre être qui porterait cette même différence dans sa pensée et sa manière de vibrer. Je quittais ma banlieue parisienne très souvent pour aller au musée du Louvre écouter la vie que les tableaux me racontaient. J’ai vécu ici dans ce lieu culturel des heures d’extases qui me rendaient presque fiévreux d’amour avant de retourner à la tombée de la nuit, rejoindre les miens.
Je vivais avec une solitude et un sentiment d’isolement atroce, terrible parfois. L’être que j’étais et la vie intérieure qu’il portait ne trouvait pas à se partager avec un autre. J’emmenais avec moi dans ma famille et ma banlieue, ces lueurs trop vives et trop présentes dans mon être, qui confrontées à la réalité, faisaient naître un sentiment d’isolement très lourd à porter pour les épaules d’un enfant.
Il y avait toujours cette intuition insaisissable, que je m’avançais vers un destin différent.
Poussé à écrire les réalités transcendantes qui passaient en moi, j’ai appris très tôt l’état où je pouvais traduire avec des mots, les lueurs dans lesquelles mon âme était en prise.
J’ignore pourquoi les pauvres, les êtres qui souffrent ou les solitudes meurtries, ont été mon environnement lorsque j’ai quitté le toit familial et que j’ai pris mon indépendance. Comme s’il y avait une résonance entre mes blessures psychiques et les souffrances de certains ; ma place et mon intérêt à vivre étaient ici, à l’écoute de ce qui souffre et ceux qui étaient devenus comme une famille.
L’éclosion d’un peintre
J’ai découvert la peinture, un soir, lorsqu’à travers une œuvre d’art brut, j’ai saisi en l’espace d’un éclair, que la peinture était aussi un moyen d’expression.
Traversé par une intuition que je devais vivre ici maintenant, j’ai commencé un premier pastel, puis un deuxième. Aussitôt, quelque chose s’est mis en route et ne sait jamais arrêté à ce jour. C’est Alexis Péron, administrateur du musée du LAM à l’époque, qui le premier acquit m’a première peinture.
J’imaginais qu’il m’avait confondu avec un autre artiste, j’étais troublé mais il acquit plusieurs œuvres consécutives. C’est son affection pour moi et son intérêt pour ce qui sortait de mes profondeurs et qu’il écoutait avec beaucoup de solennité qui m’a porté à poursuivre.
C’est au cœur de cette frénésie que le réalisateur Patrice Velut me contacta quelques mois après puis vint le commissaire d’exposition Didier Benesteau qui organisa ma première exposition à Dol de Bretagne le 8 décembre 2018. La veille du vernissage, j’étais auprès de cette famille de la rue qui venait me voir tous les jours à mon travail et le lendemain, j’allais être plongé dans une dimension que je n’aurais jamais soupçonnée côtoyer un jour.
Ma vie changea. Je respirais mieux.
J’étais le spectateur d’une vie incroyable sans pouvoir réaliser que j’en vivais au cœur. Je retrouvai ensuite ma vie dans les gares où je travaillais, toujours très heureux de vivre auprès de mes collègues et de cette famille particulière qui est démunie de tout.
Lorsque l’on m’annonça que j’exposerai au musée de Laval, enchanté par la générosité de la vie, je compris que cette présence qui me dépasse et qui mène mon chemin depuis toujours, m’emmenait jusqu’ici. Je menais dorénavant une existence complexe où je devais travailler à la gare et en même temps, répondre aux besoins de ma vie de peintre. Cette œuvre qui existait maintenant en dehors de moi, je devais la protéger de moi-même ! Je ne devais pas l’utiliser pour compenser un besoin de reconnaissance. Il me fallait me protéger des murmures du monde et des miens et c’est en continuant à vivre près des pauvres, en partageant le travail de chaque travailleur, que je vivais cette période de ma vie.
Cette œuvre picturale attira à elle d’innombrables hommes et de femmes de lettres, poètes, pour illustrer et accompagner leurs écrits. C’est ainsi que Banlieue-Ville, un ouvrage de l’auteure Aline Recoura fut publié, suivi d’Une enfance en oraison du poète franco-Iranien Patrick Navaï qui a écrit plus d’une centaine de poèmes sur mes peintures. Toutes ces aventures humaines et artistiques que je ne peux présenter dans toute leur étendue ici, m’ont dépassées.
L’exposition de La vie de St Jean de la Croix et de plusieurs œuvres dans la cathédrale de Créteil en 2022 fut une expérience particulière qui touchait à mon intimité. Un concert fut donné par l’artiste musicienne et interprète Jeanne Bonjour qui a écrit une chanson inspirée par mes peintures et qu’elle a chanté ici dans ce lieu qui me ressemble tant. Et le chemin a continué en Ardèche où je vis encore aujourd’hui…
Citation
On me dit peintre, et je vois que je suis toujours ce moine contemplatif qui vient chaque jour chercher dans la pénombre d’une église, cette étincelle de vie qui n’existe que dans l’oraison profonde et abandonnée.
Je travaille depuis peu dans une résidence sénior. Je nettoie les studios de nos aînés et je mêle les aspirations de mon cœur aux leurs. Je frotte, je récure, accroupi, penché, debout, je rince, j’aère et je suis heureux. Lorsque vient ma pause, je vais plein de hâte à l’église St Laurent qui est à deux pas, et là, seul le plus souvent dans ce grand espace habité, je viens m’entretenir avec le monde invisible et j’écoute en moi-même la voix de ceux qui protègent ma vie.
Où est le peintre ? Ici, mais il n’a pas le visage qu’on lui connaît d’habitude. Son atelier est en lui et il ne peint que ce qui est fécondé dans son être par le monde invisible. Ce n’est pas des vernissages traditionnels qui remplissent son cœur ! L’exposition de ses tableaux est faite pour les solitudes, les enfants abîmés par un manque de pain ou d’amour, les êtres dépouillés qui savent s’abandonner et poursuivre leur vie dans la contemplation. Ces œuvres sont là pour parler à l’être sincère, à l’être qui cherche sa consolation dans la prière ou le recueillement.
Dieu, la quête d’un peintre
« Je suis homme. Ma peinture n’est pas née d’une démarche artistique avec l’idée qu’elle plaise à toute la pléiade des professionnels de l’art ! Elle n’est pas pensée d’ailleurs ! Elle est seulement un de mes refuges ! Elle contient mes larmes, mes longs soupirs intérieurs, mes angoisses, mes inadaptations sociales aussi ! Elle est la cellule à travers laquelle je vois et je ressens le monde ! » (Marjan)