Sophie est laïque associée à La Xavière. Dans cet article, elle nous partage comment des lectures ont résonné au cœur de sa vie éprouvée et ont ouvert en elle un chemin d’espérance.
Beaucoup de lectures, en plus de celle – essentielle pour moi – de la Parole de Dieu, m’ont été données tout au long de ma vie. Elles m’ont permis d’entendre progressivement en moi et pour moi, l’appel à vivre adressé par le Christ : « Talitha koum ! – Jeune fille, je te le dis, lève-toi » (Mc 5, 41). Se réveiller de la mort, voilà une expérience que je pensais ne jamais vivre de mon vivant.
Un long combat
Comment définir le mode de survie dans lequel je m’étais moi-même enfermée depuis mon enfance par souci d’être aimée des autres ? Plaire à tout prix, y compris à en tomber malade de façon chronique, était la seule réponse que j’avais inconsciemment trouvée pour étancher mon besoin d’amour dès mes premiers jours d’existence. Piège de l’enfermement (l’enfer me ment !) quand, enfant, j’ai intégré la fausse croyance que je devais mériter l’amour de mes parents et m’y suis employée avec l’énergie du désespoir.
« Jésus posa son regard sur lui et il l’aima… » (Mc 10, 21). J’ai eu la révélation de l’amour inconditionnel que je désirais depuis toujours un jour de Noël, à l’aube de mes 60 ans. Je n’avais plus besoin de mériter l’amour des autres pour vivre. Quelle douceur ! Quel repos ! Quelle joie !
J’ai poursuivi ma recherche de cet amour, notamment dans des lectures, et je rends grâce pour tous leurs auteurs qui ne sauront jamais en quoi ils m’ont apporté des consolations, de nouveaux réveils, des re-suscitations.
Un livre éclairant
Récemment le livre d’Isabelle Le Bourgeois Vivre avec l’irréparé (Albin Michel, 2024) m’a ouvert une porte sémantique libérante, en me faisant passer d’un sentiment d’irréparable à l’accueil d’un « irréparé » dans ma vie.
« Vivre avec l’irréparé, serait-ce découvrir comment vivre avec le réel, autant que faire se peut ?
Nous avons en nous des points d’appui insoupçonnés qui ne demandent qu’à entrer en action pour nous aider à retrouver une forme de liberté joyeuse à être nous-même.
La trace ne peut jamais être effacée complètement, mais il est possible de diminuer l’intensité de sa nuisance.
L’irréparé en tant que « non encore réparé » inscrit une espérance au cœur de ma vie (…) Cela touche ma foi, les plus profondes strates de ma foi, en l’Humain, en Dieu, celui de Jésus-Christ, et croise ainsi la Promesse de Vie qui traverse toute la Bible.
La Promesse me rappelle que tout est déjà donné mais que tout n’est pas accompli, qu’il subsiste de l’inachevé. »
(extraits pp. 27, 38, 40)
Et l’auteur de dérouler le fil de son espérance en nous faisant cheminer de l’irréparable à l’irréparé, puis de l’impardonnable à l’impardonné.
Un chemin ouvert
« Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34) résonne encore fortement en moi en ce temps de Pâques. Cette parole forte du Christ en croix pointe le cycle de la violence humaine qui produit quotidiennement de l’irréparable et de l’impardonnable à travers le mauvais usage que nous faisons de nos mécanismes de défense : méfiance, agressivité, emprise, volonté de contrôle, jugement sur l’autre…
Mais la violence, et le désespérant suffixe en « able » (« l’irréparable », « l’impardonnable »…) n’ont pas le dernier mot.
Il est « réconfortant » de percevoir qu’il y a de l’irréparé et de l’impardonné dans la personne de Jésus agonisant, mais aussi dans tous les fils et filles de Dieu que nous sommes, tantôt « bourreaux », tantôt « victimes ». Je crois que c’est de cela que parle, au fond, le Salut. Dieu seul peut réparer, pardonner, et ressusciter ce que chacun lui confie dans le cri de son cœur brisé et broyé. Dans un étrange paradoxe, qui ne la justifie en rien, Dieu recueille la souffrance subie ou commise que nous lui confions, librement, comme le fils prodigue à son retour, et la transforme en Vie jaillissante, pour nous et pour les autres.
Mal subi, mal commis, nous cochons chacun-e toutes les cases, certes à des degrés divers. Le regard du Christ, désirant et appelant à la Vie dans le Père chaque être que nous sommes, a ainsi re-suscité tant d’hommes et de femmes, de tous les temps. L’espérance pour moi se dit ici : dans cette vie nouvelle offerte par le Père à toute personne humaine, quoi qu’elle ait fait ou subi.
« Bénis soient les regards assez tendres, assez fous, assez vrais, pour me donner le cœur de m’espérer encore, de m’attendre à quelqu’un d’autre en moi. Les vrais, les seuls regards d’amour sont ceux qui nous espèrent, qui nous envisagent au lieu de nous dévisager ». (Paul Baudiquey, dans la méditation « Le retour du fils prodigue »)