Le 9 octobre dernier, le pape Léon XIV publiait sa première exhortation apostolique. Joëlle Ferry, théologienne, en met en lumière quelques aspects.
D’un pape à l’autre
Ce premier texte du pape Léon, après cinq mois de pontificat, reprend une exhortation commencée par le Pape François sur l’amour envers les pauvres. Il en avait été de même pour le premier texte du Pape François, Lumen fidei, La lumière de la foi, en 2013, qui était la finalisation d’une encyclique sur la foi du pape Benoît XVI. La continuité entre les papes se voit dans les titres : de Dilexit nos (François en 2024) à Dilexi te (Léon en 2025). Léon cite plusieurs fois le Pape François, notamment son exhortation Evangelii Gaudium. Il reprend ses grandes intuitions en y ajoutant une empreinte augustinienne, ainsi que des développements historiques et théologiques. Comme lui, il considère que la réalité se voit mieux à partir des marges, à commencer par les pauvres et les petits.
A travers la Bible
Depuis l’appel de YHWH à Moïse, la Bible nous présente un Dieu qui choisit les pauvres : « J’ai vu la misère de mon peuple », telle est la raison de l’envoi de Moïse à libérer son peuple d’Égypte. Le passage de la mer présente Dieu comme l’ami et le libérateur des pauvres et des opprimés. Le pape souligne que le choix prioritaire des pauvres est un engagement de Dieu, que Jésus s’est identifié avec les plus petits de la société (Mt 25 -récit du jugement dernier). C’est à eux que Dieu dit : « Dilexi te, Je t’ai aimé ».
Parcours historique
La partie centrale (chapitres 3-4) retrace l’histoire du christianisme à l’enseigne de l’attention réservée aux plus pauvres. Depuis les premières communautés chrétiennes soucieuses de servir les plus démunis (Saint Paul, Étienne, Laurent), de nombreux Pères de l’Église d’Orient et d’Occident, des femmes au fil des siècles rappellent la primauté de l’attention aux pauvres dans la vie et la mission de tout fidèle chrétien. Ils ne cessent de souligner que « la charité est le critère du vrai culte (n° 42) » dans la ligne des prophètes de l’Ancien Testament. Au XIIIème siècle, les ordres mendiants se font pauvres avec les pauvres. François d’Assise en est la figure la plus emblématique. Beaucoup d’ordres religieux se sont adonnés au soin des malades, à la libération des captifs, à l’éducation des enfants pauvres. La compassion des chrétiens s’est incarnée dans les pauvretés de chaque époque. Au XXème siècle, les multiples transformations de la société conduisent l’Église à élaborer une « doctrine sociale » qui souligne des structures de péché dans nos sociétés.
Quels accents nouveaux ?
Dans cette exhortation apostolique, le pape Léon fait œuvre de théologien. Il se situe dans la veine de la théologie de la libération développée dans l’Église latino-américaine, qui met au premier plan l’image d’un Dieu qui libère. Le choix prioritaire des pauvres n’est pas d’abord une option de bienveillance, mais une révélation : c’est chez les pauvres que Dieu habite et manifeste qu’il est miséricorde.
« Les pauvres sont des sujets capables de créer leur propre culture, non des objets de bienveillance (n°100)» ; ils sont sujets de l’histoire et témoins actifs de l’Évangile. Il ne s’agit pas tant de faire ‘pour’ eux que de faire ‘avec’.
La rencontre du Christ a lieu en priorité dans la rencontre avec les pauvres.
Léon souligne deux dérives actuelles : la spiritualisation qui transforme la pauvreté en simple détachement et l’ultralibéralisme : l’illusion d’un bonheur qui découlerait d’une vie axée sur l’accumulation de richesses.
Le texte est ponctué d’aspects concrets : Léon met en lumière l’importance de l’aumône qui n’est pas un geste paternaliste, mais un rétablissement de la justice. Les catholiques sont ainsi renvoyés aux défis actuels.
L’écriture de cette exhortation allie le rappel de l’enseignement traditionnel dans l’Église et des paroles ‘choc’ actualisantes et interpellantes. Un grand texte à l’aube de ce nouveau pontificat.
