Nous contacter

S'abonner à la lettre

Dominique a été bénévole au Secours Catholique d’Aix en Provence durant 8 ans. A la faveur de son envoi dans une autre communauté, elle nous partage sa relecture : à la fois celle de son appel à suivre le Christ et dans le même mouvement, l’appel à une présence fraternelle avec les personnes en situation de précarité.

Dans un même bâtiment à proximité du centre-ville d’Aix cohabitent la la délégation du Secours Catholique – avec la présidente, la vice-présidente, le délégué diocésain, la secrétaire, le trésorier, plusieurs animateurs de secteurs… – et l’équipe d’Aix avec une centaine de bénévoles. 

Les activités proposées sont variées : accueil café, cours de français, accompagnement scolaire, écoute et accueil des demandes d’aides, ateliers d’expressions, cuisine, tricot, couture… maraudes…

Le public accueilli est essentiellement composé de personnes, sans domicile fixe ou du quartier, des demandeurs d’asile de différentes nationalités, des personnes atteintes psychiquement (restant en lien avec l’hôpital psychiatrique proche).

Dans l’esprit de Jean Rodhain, fondateur du Secours Catholique en 1946, l’objectif est l’avancée vers un monde plus juste et plus fraternel, à travers des rencontres interculturelles et interreligieuses, des activités (facteurs de liens) , des marches fraternelles animées, un pèlerinage à Lourdes, et ce défi : que les « accueillis », en précarité sociale, physique, psychique, deviennent des  « accueillants ».

Un appel qui vient de loin

Toute petite, j’étais sensible  aux personnes fragiles,  isolées, tristes… Je ne sais pas trop pourquoi, c’était une sorte d’instinct, de mouvement du cœur, un élan.

Née à Lille juste après la guerre, mon père revenant de captivité avait sensibilisé ma famille aux détresses comme au partage et à l’amitié, entre tous. J’étais naturellement en confiance, sans doute naïve, mais  ces mots du psaume « justice et paix s’embrassent » habitaient mon cœur. Au fil des années, j’ai toujours aimé rendre service, être présente à ceux qui souffraient, les tout proches sans me poser mille questions ! 

A la fin de mes études, j’ai d’abord fait divers remplacements dans le privé, comme institutrice, puis, naturellement portée vers les enfants en difficulté, je me suis dirigée vers les études d’orthophonie, où j’ai exercé dans un quartier pauvre de Lille et sa périphérie tout en donnant des cours de français à des femmes, pour la plupart maghrébines, chez elles ou au Secours Catholique !

Un appel, greffé sur un autre appel

 « L’appel qui venait de loin » auprès des plus petits, s’est enraciné au plus profond d’un autre appel : « Voici que je me tiens à la porte et je frappe » (Apocalypse 3,21). A travers cette générosité, tous azimuts, et un peu trop « mon affaire », le Seigneur m’invitait à lui donner toute ma vie. Ainsi, non sans combat, c’était Lui désormais, qui soulageait, guérissait, s’approchait, sauvait… Je m’unifiais peu à peu, puis j’entrai à La Xavière, découvris d’autres réalités, tout en restant sensible aux petits.

Un appel confronté au réel

Je repris pied au Secours Catholique à Nice, ville très contrastée où se côtoient grandes richesses et grandes pauvretés. J’y ai donné, avec d’autres bénévoles, des cours de français et d’alphabétisation.

Puis au cours de mes huit années à Aix, je me suis engagée dans différents secteurs : l’accueil café, les cours de français, les ateliers cuisine, les ateliers d’expression artistique, l’animation spirituelle (« catholique » devenant très concrètement « universel »).

Quel est donc ce réel, auquel je me suis laissé confronter ? Spontanément, je dirais que ce sont tous ces êtres humains, dans leurs complexités, leurs parts de lumière et d’ombre, de grandeurs et de laideurs. Toutes ces « parts » sont en moi, de la même manière…

Lumières et consolation

Au petit matin, Mohamed est glacé, il couche dehors, depuis plusieurs jours, il me demande, avec les yeux, une veste chaude. Je me renseigne, car en principe, Mohamed doit constituer un dossier !  Je soupire intérieurement.  Pour une fois, on peut faire une exception ! Je cherche désespérément sa taille, trop grand, trop petit, ah enfin !  Il l’essaie ! Ses yeux s’illuminent, et j’entends : « Merci, merci, je prierai pour vous ». Je suis bouleversée…  

Au retour de Lourdes, Nicole, handicapée, nous dit : « depuis que je suis revenue, mon cœur est tout chamboulé ». Elle fond en larmes… On y retourne quand ?     

Malik, dont tous se méfient, car il « chaparde » et s’empare facilement des téléphones portables, vient s’asseoir, parmi les « artistes » de l’atelier du jeudi matin, et nous émerveille par son talent. Oubliés pour un temps, vols et tensions ! Voici qu’il se concentre sur une magnifique feuille d’automne, lui donnant relief et nuances. Un sourire illumine son visage et réjouit les bénévoles.

Ombres et résistances

A l’accueil café de ce matin, Claude déambule dans la pièce, il s’en prend à tous, accueillis, bénévoles, animateurs : « j’en peux plus, ils sont tous pourris, personne me répond, je vais tout casser… » La tension monte. Malgré les paroles de réconfort, puis de fermeté, deux chaises volent, la cafetière éclabousse, des cris suscitent la présence des membres de la délégation proche, la police elle-même est appelée. Paroles fermes, essais de dialogues, évocations de sanctions. Discussions entre accueillants et accueillis… Résonne en moi cette parole du pape François dans Laudato Si : « Écouter, tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres ». D’où vient–elle, cette clameur violente de Claude ?

Depuis quelques temps, des bénévoles vont chercher des « invendus », viennoiseries, tartes, pains, qu’une boulangerie nous livre gratuitement. Chance inouïe… qui a ses limites ! Voici que les « accueillis » deviennent exigeants, jaloux, que les bénévoles ne savent plus où donner de la tête, débordés par la masse de nourriture subite, empêchant de parler simplement, avec l’un ou l’autre ! Le « trop «  a détruit la relation de confiance ! Donner en abondance a empêché  la réciprocité des échanges tranquilles et fraternels. Prise de conscience rude et bénéfique, suivie  de décisions toujours en cours.

Découvertes et questionnements 

A travers ce compagnonnage de 8 années avec des « pauvres » matériellement, économiquement, psychologiquement, j’ai découvert plus intensément que moi aussi j’étais « pauvre », peut-être pas de la même manière car j’ai chaque jour abri et couvert, relations, fraternité, richesses culturelles. Mais bien souvent ces richesses-là font obstacle à une vraie rencontre, dépouillée de tout artifice, surplomb. Les personnes que j’ai rencontrées (avec leurs propres limites) m’ont tellement appris !  Elles sont naturelles, directes, sans se payer de mots, combattives pour, parfois « survivre ».

Une phrase du pape François (dans La joie de l’Évangile), m’a bousculée ; elle est devenue fil d’or de mon activité.

« Je veux dire avec douleur, que la pire discrimination dont souffrent les personnes pauvres, c’est le manque d’attention spirituelle ».

Avec d’autres « acteurs », j’ai appris de l’intérieur que « l’attention spirituelle » au sens large était ce besoin fondamental de tout être humain de donner du sens à sa vie, d’être écouté, reconnu, de dire sa colère face à l’injustice, d’exister…  J’ai appris aussi à « m’approcher « de la terre sacrée du mystère de l’autre », selon cette magnifique expression, du pape François.

« Ensemble, construire un monde juste et fraternel »

Est-ce vraiment possible ?

Oui, je le crois vraiment, si la toute petite étincelle d’Espérance et de vie au fond du cœur, s’enflamment, au feu de l’amour concret, fait de désir de réciprocité, d’écoute et de joie communicatives, de recherche inlassable de sens, de soif de beauté exprimée, de toute manière…

Alors, ensemble, chacun et chacune, dont nous pouvons égrener les prénoms, nous irons les mains nues et le cœur dépouillé à la rencontre de ce tout petit enfant de Bethléem, qui « fait toutes choses nouvelles »…

Dominique Debatte

PS : les prénoms des personnes ont été changés.

Voir aussi

produits d'entretien bio
Vivre la conversion écologique en communauté
> Lire
aimer et servir2
Découvrir la vie religieuse ignatienne
> Lire
club environnement korhogo 5
Un club "environnement" à Korhogo
> Lire