Laudato Si’ : prendre soin, enfin, car tout est lié !

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Martine est travailleuse sociale et réside actuellement en France. Passionnée par l’écologie intégrale, elle nous partage son cheminement et ses réflexions liées à l’encyclique Laudato Si’.

En France et en Afrique, elle a été salariée dans des associations où elle a accompagné jeunes et adultes, hommes et femmes, en situation d’exclusion, de souffrance et/ou de pauvreté. Aujourd’hui, elle travaille avec des jeunes en situation de vulnérabilité, pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), mineurs non accompagnés (MNA) ou jeunes souvent en conflit avec la loi.

« Enfin ! »

C’est le mot, avec le sourire, qui m’est venu au cœur en juin 2015 avec la publication de l’encyclique Laudato Si‘ par le pape François. En effet, 15 ans auparavant, au cours de mes études de théologie à la Catho de Toulouse (1997-2000), j’avais fait le choix de travailler non pas sur la question de la justice sociale – ce qui aurait paru naturel compte tenu de ma sensibilité et de mes engagements professionnels – mais sur celle du rapport de l’Église à l’écologie. À l’époque, ce choix semblait presque incongru !

Prise de conscience de rapports déréglés

En 1994, j’ai été envoyée en Côte d’Ivoire. Les xavières y sont présentes depuis 1967, appelées et associées à la mission de l’Institut Africain pour le Développement Économique et Social créé par les Jésuites (INADES – devenu CERAP) à Abidjan. Elles ont ensuite fondé la communauté de Korhogo et créé l’Animation Rurale de Korhogo (ARK) en 1972 pour travailler avec les paysans Senoufo, femmes et hommes de la région des Savanes au Nord, dans une démarche d’écoute et d’autopromotion communautaire. Déjà, le soin de la terre et le respect des personnes…

Envoyée à Korhogo, je travaillais dans l’association ANAED (Aide Nationale A l’Enfance En Danger) co-créée par une xavière, dont l’objectif était de sortir des jeunes de la rue ou de la prison. Entièrement engagée dans mon travail avec mes collègues et les jeunes, j’étais frappée dans le même temps d’une part par l’accueil chaleureux des Ivoiriens et d’autre part par la précarité de certaines familles, la diminution de la fertilité des terres arables, la déforestation qui grandissait (exportation de bois tropicaux), et l’étendue des quartiers précaires dans les villes où les plus pauvres se trouvaient menacés d’inondations durant la saison des pluies.

Les inégalités Nord-Sud et les politiques de développement insuffisantes ou inadaptées (j’étais engagée dans l’association de plaidoyer Agir Ici devenue Oxfam) me questionnaient profondément. La méditation des Évangiles et du Premier Testament me faisait prendre conscience qu’il nous fallait sortir d’attitudes de surplomb, de domination et de prédation tant dans les rapports sociaux que vis-à-vis de la terre que nous avons reçue. Il fallait arrêter de l’exploiter sans vergogne, souvent au profit des pays du Nord, l’aimer et en prendre soin dans la justice.

Ici ou là-bas, en solidarité avec les pauvres et la terre

De retour en France, en 1997, je commençais une licence de théologie à Toulouse après avoir travaillé auprès de jeunes et de personnes sans domicile fixe en France. Nous habitions au Mirail, classé en quartier prioritaire de la ville (QPV). Mon « lieu » théologique était maintenant celui d’un quartier populaire où les voitures brûlaient parfois et où les rodéos vrombissaient dans la nuit. Chômage, pauvreté et délinquance étaient présents. Mais aussi des échanges avec les voisins de notre montée originaires d’Afrique du Nord ou subsaharienne. Partages savoureux aux fêtes religieuses musulmanes ou chrétiennes. La paroisse St Paul des Nations, ouverte et fraternelle, était dynamisée par l’amitié et par les différentes cultures : mais quid de l’Évangile, de la Bonne Nouvelle tant pour l’Afrique que pour les gens de ces quartiers qui se percevaient comme stigmatisés par le reste de la ville ? Une jeune femme des quartiers me disait : « parfois on se laisse abandonner »…

mirail 2004
Avec Emmanuèle au Mirail

Lorsque j’ai rendu mon travail d’Enseignement social de l’Église, en 2000, le sujet a étonné… À l’époque, le monde catholique avait un rapport à la planète largement anthropocentré marqué par une traduction et une compréhension faussée de Gn 1,28 « soumettez la terre ». Cette recherche m’a fait découvrir l’histoire de la prise de conscience de l’urgence climatique avec le rapport Brundtland et la vitalité des Églises protestantes du COE (Conseil Œcuménique des Églises) sur ce sujet.

Fille de paysan, familière du Roundup (glyphosate), j’étais maintenant saisie par l’urgence pour nos sociétés comme pour l’Église Catholique à nous faire les gardiens respectueux de la terre et non plus les propriétaires usurpateurs des générations futures et des pauvres, et à opérer une véritable conversion dans l’interprétation des textes bibliques si souvent évoqués.

De retour en mission en Afrique en 2004, j’ai pu sensibiliser sur l’importance de lutter contre les déchets (plastiques ou autres), lancer des journées éco-citoyennes avec les jeunes, former à la vie associative, faire du plaidoyer avec d’autres associations de la société civile sur les questions foncières ou l’éducation des filles. Intuitivement, je percevais que ces questions étaient liées… En communauté, nous mettions modestement en place le tri des déchets et un compost au fond du jardin !

Enfin une encyclique sur l’écologie !

C’est avec la publication de l’encyclique Laudato Si‘, lue durant l’été 2015, que j’ai ressenti une joie immense. Je l’avais imprimée afin de pouvoir la surligner et l’annoter… je l’ai dévorée !

Enfin ! Enfin l’Église catholique reconnaissait que l’écologie n’est pas un thème mineur, une option facultative de la suite du Christ. Elle prolongeait l’appel à la conversion présent dans l’Écriture et dans d’autres textes du Magistère en liant désormais la cause des pauvres et du Vivant. Elle en soulignait l’urgence quelques mois avant la COP 21 de Paris.

Laudato Si établissait, en parlant à tous et toutes, que la crise environnementale est indissociable de la crise sociale et spirituelle que traverse l’humanité ! Car « tout est lié » comme aime à le dire François dans Laudato Si‘.

Lorsque je suis revenue en France, j’ai participé avec enthousiasme aux marches pour le climat en 2019 et les années suivantes, ébahie, heureuse que quelque chose d’une prise de conscience de l’urgence climatique soit là, enfin, et nous vienne de la jeunesse !

Car mon engagement auprès des jeunes ou des personnes en difficulté, qu’ils soient en France ou en Afrique, m’a fait toucher du doigt cette réalité : les plus pauvres sont toujours les premières victimes de l’injustice, qu’elle soit sociale ou environnementale. Le 17 octobre 2020, ATD Quart Monde signifiait ce combat conjoint au Trocadéro ! Les jeunes Mineurs Non Accompagnés que j’accompagne aujourd’hui, souvent venus d’Afrique, portent dans leur histoire cette double blessure : celle de l’exclusion sociale et celle d’un environnement dégradé qui les a poussés sur les routes de l’exil. Laudato Si‘ donne du sens à cet accompagnement quotidien.

Ce texte nous invite avec vigueur à l’espérance, à vivre un autre type de rapport aux autres, aux pauvres, aux biens et à la planète ; à sortir des rapports de dominations multiples pour vivre les Béatitudes : « Heureux les doux, ils auront la terre en partage » (Mt 5, 5).

Sortir des rapports de domination et choisir de décélérer

L’appel à changer résonne particulièrement quand je pense à l’Afrique, continent qui subit de plein fouet les conséquences du dérèglement climatique. Les sécheresses, les inondations, la désertification… autant de réalités que j’ai vues grandir depuis les années 90 et s’amplifier dans les années 2000 et qui touchent d’abord celles et ceux qui ont le moins contribué au problème.

La solidarité et l’engagement concret ne sont plus des options. Les migrations climatiques que nous voyons aujourd’hui ne sont que le début de ce qui nous attend si nous ne changeons pas radicalement de cap et si nous ne sortons pas de nos zones de confort, d’une forme de déni, et d’égoïsme du temps présent pour permettre aux générations futures de vivre sur une planète habitable, belle et durable. Les fortes chaleurs qui nous touchent parfois ici nous font percevoir combien la température peut être écrasante, « dévitalisante », insupportable…

Le pape François a justement parlé du « cri de la terre et du cri des pauvres » – une formule qui résume les liens indissociables entre justice sociale et écologie. Le véritable amour prend position dirait Léon XIV. Il ne peut être neutre, tiède.

Laudato Si‘ nous appelle à une conversion profonde : changer nos rapports de domination vis-à-vis de la terre, des pauvres, des pays du Sud pour des rapports plus égalitaires, respectueux, joyeux et fraternels, empreints de bonté. Vivre un amour en actes, relié aux autres.

Mais nos vies peuvent être comme happées. Hartmut Rosa, sociologue et philosophe allemand, décrit bien le processus d’emballement de nos sociétés modernes. En prendre conscience avec une grille d’écologie intégrale peut nous interpeller et nous conduire à décélérer, à trouver davantage d’espace pour la prière, le lien gratuit aux autres et à la nature, et à se déconnecter. Nous ouvrir à ce qu’il appelle la « résonance ». C’est un combat de chaque jour !

Dix ans de Laudato Si’ : une dynamique est lancée !

La joie la plus grande est de voir comment Laudato Si‘ a libéré les énergies malgré les résistances.

J’ai éprouvé de la joie à voir ma congrégation s’emparer vigoureusement de cette thématique lors du dernier Chapitre Général et inviter les communautés et les xavières à faire des pas de plus. J’ai la joie d’être appelée à participer à notre « Commission Laudato Si' » pour avancer ensemble sur ces questions cruciales et la joie de voir ma communauté locale réfléchir, se remettre en question et s’engager à modifier davantage nos modes de vie avec l’appui d’Église Verte en 2025 !

En août 2023, j’ai participé au premier festival des Poussières avec le Collectif Anastasis. Une immense émotion m’a saisie lors de la lecture du texte d’ouverture à plusieurs voix : enfin, une jeunesse était là pour prendre le relais au nom de l’Évangile… Tout comme lors de la soirée de lancement du Collectif Lutte et Contemplation en septembre 2023, où la Maison Magis était pleine de jeunes motivé.e.s désirant allier contemplation, fraternité et engagement écologique. Enfin !

Quelle joie de participer à leurs côtés ou avec CUT (Chrétiens Unis pour la Terre), le mouvement Laudato Si, GreenFaith à des actions militantes non violentes vivement encouragées par Laudate Deum en 2023 : prière devant l’Assemblée Nationale pour une vraie loi Climat, pétitions et courriers pour la sortie du financement des énergies fossiles de nos groupes d’Église (diocèses, congrégations), chorales éco-spirituelles, cercles de silence, jeûne pour l’arrêt du projet EACOP de Total Énergies aux conséquences néfastes pour la planète et les communautés villageoises d’Afrique de l’Est, manifestations climat avec d’autres collectifs, etc.Grande action de grâce !

Ma modeste pratique du vélo et l’adhésion à des associations de promotion des mobilités douces, la participation à un jardin partagé, l’attention à faire durer au maximum les équipements électroniques, la préférence pour le train, l’achat de textiles dans les friperies, une alimentation moins carnée, la prière et le jeûne, l’attention à l’écologie au sein de mon équipe de travail, le respect et l’accompagnement des jeunes les plus fragiles, etc. sont quelques-uns des gestes et attitudes posés en articulation avec les choix communautaires.

jardin partagé
Jardin partagé de Créteil
convergence velo paris 2021
Convergence Vélos à Paris

En avril 2025, à l’invitation des Jésuites, j’ai pu participer comme xavière à une rencontre du réseau ignacien à l’éco-centre du Châtelard pour échanger et relire le chemin parcouru dans nos diverses institutions et congrégations. Occasion de constater que Laudato Si‘ a lancé une dynamique dans nos structures et continue d’ouvrir des chantiers, libérer et fédérer des énergies, pour transformer nos pratiques, nos modes de vie et de consommation, nos rapports aux autres et au vivant… Il y a parfois des reculs ou des lenteurs… mais il nous faut poursuivre avec détermination et espérance car l’Esprit est à l’œuvre en nous !

Il reste cependant un défi majeur à relever, que je me permets d’aborder ici : celui de la question des minorités et de la place des femmes dans l’Église et les sociétés. Si nous nous efforçons d’écouter les cris de la terre et le cri des pauvres, serons-nous également capables d’entendre les voix des minorités et notamment le cri des femmes qui sont encore victimes de violences et de discriminations sur l’ensemble de la planète et qui revendiquent légitimement leur place dans la vie et la gouvernance ecclésiale ?

Bref, poursuivre le chemin engagé avec une compréhension plus inclusive encore de l’écologie intégrale…

Vivre dans l’espérance et la gratitude

« Il y a une mystique dans une feuille, dans un chemin, dans la rosée, dans le visage du pauvre » (LS §233).

Laudato Si‘ constitue encore, 10 ans après sa publication, un fort et bel appel à la conversion de nos modes de vie, en solidarité avec les pauvres, pour mettre en œuvre une sobriété heureuse qui fait écho à notre vœu de pauvreté.
Elle a légitimé mon désir de participer aux luttes écologiques et féministes et renforcé celui de suivre le Christ en Église, avec d’autres, dans la louange pour tout le Vivant !

Je termine avec les derniers mots de mon devoir de l’an 2000 :

« Nous avons à réapprendre à regarder l’eau, l’air et le feu (G.Bachelard),
Les pierres, les jeux et les images du monde (R.Callois).
Et c’est même à partir de ce monde réconcilié
Que nous réapprendrons à mettre notre main dans celle du prochain,
Qui a besoin de « feu et lieu » (J.-P. Lonchamp)

et un chant : Les arbres et les rochers de Guillaume Lohest, que j’aime chanter à vélo dans les rues de Paris… En changeant parfois les paroles selon l’inspiration : « les merles et les rouges-gorges », « les fleurs et les ruisseaux »… « les pauvres et leur sourire », « le Christ et son Esprit »…

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