Geneviève Comeau a participé à la soirée d’hommage au Pape François qui a eu lieu aux Facultés Loyola Paris le 29 avril. Dans son intervention, elle a mis en relief 5 fils conducteurs caractéristiques de son style.
Geneviève Comeau, xavière, est professeure de théologie aux Facultés Loyola. Le replay de la soirée est disponible sous ce lien.
Qu’est-ce que le « style » ?
Je pourrais évoquer un pape anti-conformiste, qui casse les codes, qui préfère loger à Sainte-Marthe et porter lui-même son petit bagage quand il voyage… Mais je vais prendre le mot « style » dans un sens plus théologique.
J’emprunte ce mot de « style » à l’historien jésuite américain John O’Malley. Quand on l’interroge sur ce qu’il y a eu de neuf à Vatican II, il répond : le style. C’est la tonalité, la manière de faire, qui est nouvelle ; et dans un sens, ça change tout. Vatican II a eu un style pastoral, car le pape Jean XXIII désirait que tous les humains puissent entendre et recevoir l’Évangile.
Le style du pape François a eu la même tonalité : une approche pastorale, faite de miséricorde, de proximité, de convivialité. Mettre l’accent sur l’essentiel : il n’est pas nécessaire de parler en permanence des questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel, etc. C’est le cœur de l’Évangile qu’il faut annoncer, l’invitation à répondre au Dieu qui nous aime et nous sauve. Sans cela, « le message courra le risque de ne plus avoir le ‘parfum de l’Évangile’ », écrivait-il dans La Joie de l’Évangile (n°39).
Donc la nouveauté du pape François tenait plus à son style, sa manière d’entrer en relation, qu’à un changement dans la doctrine elle-même.
Une parenté spirituelle avec Jean XXIII
En fait il a avec Jean XXIII, le pape qui a lancé le Concile, une vraie parenté spirituelle, que je décrirai ainsi : la confiance en l’Esprit Saint ; la préférence donnée à la miséricorde plutôt qu’au jugement ; le souci du destinataire, et donc le recours à un style pastoral, pour que puisse être reçu ce que l’Église annonce. Ces trois caractéristiques étaient propres à Jean XXIII, comme elles l’étaient au pape François.
Le pape François a eu le souci du « style » de l’Église : qu’elle soit « la maison ouverte du Père », qu’elle aille vers les « périphéries humaines » (n°46 et 47) comme il disait dans La Joie de l’Évangile.
Un autre aspect très important de La Joie de l’Évangile, et du pontificat de François, c’est que la dimension sociale ne s’ajoute pas à l’Évangile comme un complément ou une conséquence, mais lui est reliée de l’intérieur et en fait intrinsèquement partie. François nous prévient : « Le kérygme possède un contenu inévitablement social : au cœur même de l’Évangile, il y a la vie communautaire et l’engagement avec les autres » (n°177). D’où la place capitale donnée au peuple, et à l’intérieur du peuple, aux pauvres. L’engagement pour et avec les pauvres n’est pas simplement une conséquence de la foi chrétienne ; c’est la chair même de la foi. Cela dessine un « style de vie » pour l’Église et pour chaque chrétien.
Des fils conducteurs caractéristiques
A partir de là, on peut suivre plusieurs fils conducteurs caractéristiques du style de François, tout au long du pontificat :
1. La proximité avec les gens
La proximité avec les gens, avec ce qu’il appelle « le peuple », l’intérêt pour ce qui s’élabore à la base plutôt qu’à partir d’en haut.
François a valorisé la piété populaire, car il y a trouvé une créativité qui n’est pas dictée d’en haut. Il se méfiait un peu des constructions théoriques ; au contraire, il a mis en valeur que « la réalité est plus importante que l’idée » (La Joie de l’Évangile n°231-233). Il partait de la réalité concrète de ce que vivent les gens, et il n’était pas homme à appliquer de manière inflexible de grands principes… Or la réalité concrète est toujours complexe, plurielle… François a valorisé cette pluralité, à l’intérieur de l’Église où les diverses communautés chrétiennes n’ont pas à imiter la manière européenne de vivre la foi (EG n°118)… ; et dans Laudato Si, il regrettait que le règne de la technologie tende à « homogénéiser les cultures et à affaiblir l’immense variété culturelle, qui est un trésor de l’humanité » (L. Si n°144).
Son intérêt pour le peuple et pour la pluralité l’a conduit à critiquer le cléricalisme, à donner des responsabilités aux femmes dans les structures de la Curie, et à valoriser la synodalité. François Odinet en parlera tout à l’heure.
2. Discerner
Pas de jugements tout faits, mais une manière de procéder enracinée dans le discernement, en s’adaptant aux difficultés et aux questions des gens. Discerner l’Esprit à l’œuvre dans l’infinie variété des situations. Encourager, accueillir, accompagner, discerner… telles sont les attitudes que François a promues dans l’Exhortation Amoris Laetitia à la suite du synode sur la famille.
L’enracinement ignatien du pape jésuite lui a permis de proposer un tel chemin de discernement, où il a rappelé que tout le monde est en chemin, et a besoin de la miséricorde de Dieu.
3. La conscience de la fragilité de notre maison commune
Sensible à la diversité et à la complexité des situations, François a une conscience vive de la fragilité de notre maison commune, avec le souci des plus pauvres. C’est le 3ème fil conducteur.
On le trouve dans plusieurs interventions du pape, et bien sûr dans l’encyclique Laudato Si, de 2015, il y a tout juste 10 ans. Ne voyons pas la fragilité de manière seulement négative. Elle est l’occasion de réaliser que nous avons besoin les uns des autres, et donc de vivre l’interdépendance. De fait, François nous a invités à passer de l’indépendance, à l’inter-dépendance, avec cette expression qui revient souvent « Tout est lié » : notre rapport à la nature et aux autres ; le cri des pauvres et le cri de la planète… Tout est lié, et tout est fragile, aussi. Invitation à prendre soin. Quitter le mythe moderne du progrès matériel sans limite (L. Si n°78), pour aller vers un mode de vie plus sobre et plus respectueux.
Laudato Si contient une forte critique de la « culture du déchet » : des millions de tonnes de déchets sont produits chaque année, dont la plus grande partie n’est ni triée ni recyclée et entraîne beaucoup de pollution.
Dans Fratelli Tutti, l’encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale, François utilise « culture du déchet » de façon métaphorique (n°88) : il critique une culture où certaines personnes sont considérées comme inutiles, à mettre à la poubelle… Il invite au contraire à prendre soin des plus fragiles, par exemple les migrants. Ceux qui ont quitté leur pays, et dépendent de l’accueil qu’ils vont trouver… ou pas… Son premier voyage comme pape a été pour l’île de Lampedusa. Dans le chapitre 2 de Fratelli Tutti, chapitre intitulé « Un étranger sur le chemin », et consacré à la parabole du bon Samaritain, il nous invite à une proximité sans frontières.
4. Notre commune humanité
Laudato Si et Fratelli Tutti sont en fait deux encycliques jumelles. J’aborde ici mon 4° fil conducteur : nous habitons une maison commune, mais nous faisons aussi partie d’une commune humanité. Tout cela devrait entraîner des changements de style de vie. Si Laudato Si concerne le rapport à toute la création, Fratelli Tutti s’intéresse aux rapports entre humains. C’est le même appel à ne pas vivre en étant centré sur soi, mais en relation et même en communion avec les autres êtres vivants, et les autres humains.
François nous a invités à vivre un « style de vie » selon l’Évangile. Un style de vie basé sur la rencontre de l’autre quel qu’il soit – même si a priori je pourrais penser que telle personne n’est pas intéressante… (FT 215). Donc un style de vie qui implique une certaine gratuité dans les relations.
5. L’amitié
Enfin, le 5° et dernier point pour caractériser le style du pape François, c’est l’amitié. Il évoquait souvent son amitié avec tel ou tel, au-delà des frontières de l’Église catholique : avec le rabbin Abraham Skorka en Argentine, avec le patriarche Bartolomée, avec le grand imam Ahmad al-Tayyeb… Ce style de vie fondé sur l’amitié exclut toute position de surplomb ou de supériorité. François témoignait tranquillement de sa foi chrétienne, mais ne demandait à personne de devenir chrétien, et ne disait pas que les choses iraient mieux si tout le monde devenait chrétien !
Ainsi, dans Fratelli Tutti, il a proposé à toute l’humanité une nouvelle culture de la rencontre qui met au centre les plus fragiles. Ce projet est inspiré par la foi chrétienne, mais peut rejoindre les aspirations de tous les humains.
Une amitié, une relation était au cœur de sa vie : celle avec le Seigneur Jésus ; cette relation était source de joie. François nous a invités à entrer dans la joie, à ne pas nous laisser voler la joie !