Introduction

Par Nathalie Becquart :

Le Synode, un temps de grâce

Dix jours après la fin de ma mission à la Conférence des Évêques, le 31 août dernier, après avoir bouclé mon déménagement de la communauté de Vanves en vue de mon départ à Toronto pour un temps sabbatique début novembre, je suis partie à Rome pour me préparer à vivre le synode des jeunes qui s’est déroulé du 3 au 28 octobre dernier. J’ai donc eu la chance de participer comme auditrice à cet évènement ecclésial marquant, dans la suite de ces dix années au Service national pour l’évangélisation des jeunes et pour les vocations. J’ai reçu cela comme un très beau cadeau pour clore cette étape de ma vie et, en même temps, je le relis aujourd’hui comme un nouveau départ, une entrée dans une période nouvelle ouvrant vers de nouveaux horizons encore inconnus.

Au-delà de ce que j’aurais pu imaginer ce synode fut une expérience incroyable et magnifique de l’Eglise universelle. Un temps d’écoute commune de l’Esprit, un temps de passage en forme de pèlerinage, un temps de rencontres privilégié et une véritable « marche ensemble » avec les jeunes pour discerner les chemins nouveaux de la mission aujourd’hui.

Je ressors de ce mois profondément transformée ayant reçu, par cette expérience, d’être plongée davantage dans le mystère de la vie trinitaire et incorporée plus profondément dans le mystère de l’Eglise, Corps du Christ, Temple de l’Esprit, peuple de Dieu.

Et j’ai le sentiment que ce synode d’octobre marquera aussi une étape nouvelle pour l’Eglise appelée plus que jamais à poursuivre son chemin de réforme en déployant davantage la synodalité.

J’ai encore du mal à mettre des mots sur cette expérience humaine, spirituelle et ecclésiale inédite et forte de l’ordre d’un « avance au large »/« avance en eaux profondes », mais je vais essayer d’évoquer ce que nous avons vécu à travers trois images : le pèlerinage, le discernement, la Pentecôte.

Pélerinage
Le synode, un pèlerinage aux sources

Nous avons réellement vécu ce synode – du mot grec « sun-odos » qui veut dire « faire route ensemble » – comme une marche ensemble à l’écoute de l’Esprit, une marche avec des frères et sœurs venus de tous les continents, une marche en forme de conversation, une marche très incarnée car les paroles de chacun étaient habitées par les réalités sociales concrètes de son terrain de provenance, une marche marquée par la présence simple et proche du Pape François qui préside le synode…

Cette marche-pèlerinage nous a fait entrer dans un mouvement de conversion, une dynamique de recherche commune et collaborative pour discerner, à travers l’écoute réciproque et l’écoute des jeunes porteurs des défis de ce monde, à quoi l’Eglise est appelée aujourd’hui. Dans une démarche de vérité invitant à reconnaître humblement et à nommer simplement la réalité des jeunes d’aujourd’hui, leurs joies et leurs peines, mais aussi à identifier sans peur les forces et les faiblesses de l’Eglise dans sa manière de rejoindre et accompagner les jeunes, nous avons senti la grande proximité du Christ qui nous accompagnait.

Tout synode est profondément ancré dans un acte liturgique, dans l’Eucharistie et donne aux participants de se recevoir ensemble de ce mouvement d’offrande du Christ au Père. Cette XVème Assemblée générale ordinaire des Evêques s’est ouverte et aussi clôturée par une messe solennelle présidée par le Pape. Par ailleurs, la Parole de Dieu est au centre de la salle du synode et irrigue nos prises de parole. Ainsi, nous avons eu l’impression de vraiment vivre quelque chose du chemin des disciples d’Emmaüs. C’est pourquoi ce passage a été choisi comme fil conducteur du document final. Enfin, la prière rythme nos journées de travail dans la Aula comme dans les Circuli Minores et nous unit dans une même foi au-delà de toutes différences de langues, de cultures, de statut…

Le synode est un temps et un espace privilégié pour suivre le Christ de plus près et pour éprouver combien l’Eglise est réellement Corps du Christ, présence du Ressuscité sur cette terre. Ainsi, j’ai vécu ces presque quatre semaines comme une sorte de grande retraite, de Trente jours selon les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. A l’ombre du tombeau de saint Pierre, avec ces pasteurs représentant toutes les églises locales, nous avons plongé aux sources de la foi, aux sources de l’Evangile, aux sources de la vie trinitaire, communion d’amour et modèle de toute communauté ecclésiale. Ce synode m’a comme conduite de nouveau dans les eaux du baptême, dans le mystère pascal et fait vivre une forme de nouvelle naissance, un chemin de Résurrection. Il marque aussi comme un nouveau départ pour l’Eglise et nous avons eu l’impression de vivre un moment assez historique. Car il a permis, je crois, de faire un grand pas en avant dans la réception de Vatican II.

Discernement
Le synode, un exercice de discernement

J’ai eu la chance d’avoir été bien impliquée dans la préparation du synode en France et au Vatican depuis son annonce surprise en octobre 2016 par le Pape François. Puis d’avoir du temps pour me préparer spirituellement à vivre cet évènement en me posant les semaines précédentes à Rome pour lire et travailler les questions du synode tout en apprenant l’italien. J’ai senti particulièrement l’appel à servir ce processus synodal en entrant dans les attitudes spirituelles du discernement pour me mettre à l’écoute des motions de l’Esprit – en moi-même et dans notre assemblée – en demeurant dans une grande liberté intérieure. N’ayant plus de mission institutionnelle depuis mon départ de la CEF, j’ai reçu comme une chance de vivre ce synode tout simplement comme xavière, religieuse parmi six autres religieuses au milieu de tous les autres participants.

J’ai été particulièrement habitée par le désir de vivre au cœur du synode notre mission Xavière de « faire le lien entre tous », en m’appuyant sur ces trois attitudes mises en lumière lors de notre dernier chapitre général : vivre l’hospitalité, prendre soin, consoler.
En arrivant au synode, j’ai réalisé que je connaissais déjà pas mal de personnes dans les différents groupes : évêques et cardinaux, religieux et religieuses, secrétaires spéciaux et experts, jeunes et auditeurs, membres de la commission communication, équipe du secrétariat général du synode… j’ai donc essayé de contribuer à mettre en lien les uns et les autres. J’ai cherché à faire des ponts, à entrer en dialogue de manière simple au fil des jours pour tisser la communion. De toutes ces multiples rencontres, j’ai reçu beaucoup de joie et reste marquée, touchée par de nombreux échanges donnant à entendre les cultures, langages, préoccupations et réalités des différents pays et continents.

J’ai été nourrie par l’humanité des participants avec qui j’ai pu partager, par l’atmosphère très paisible et fraternelle qui régnait entre nous, par le souffle qui traversait l’assemblée, par le dynamisme et l’enthousiasme des jeunes, par la qualité des échanges et réflexions, par l’esprit d’ouverture et de dialogue, par l’attention portée à la parole des jeunes, le désir de prendre en compte les femmes…

Ce processus synodal a permis l’implication active de tous, y compris les auditeurs qui ont été pleinement associés au travail. Nous avons expérimenté avec joie la coresponsabilité dans une vraie collaboration avec les évêques et cardinaux. Et cela a porté du fruit. Nous avons senti que nous étions réunis par une même passion pour les jeunes avec ce même désir de leur annoncer le Christ pour les aider à discerner leur chemin de vie. Nous avons goûté la joie de la communion missionnaire, de l’unité dans la diversité. Cette « syntonie spirituelle » nous a donné une énergie renouvelée pour avancer avec audace dans l’expérience même de la fragilité de l’Eglise en ces temps mouvementés de crise.

Nous en sommes ressortis avec la conviction renforcée que la synodalité, « dimension constitutive de l’Eglise » est une clé pour l’annonce et la transmission de la foi aujourd’hui et doit devenir « le style missionnaire » de l’Eglise pour relever les défis du monde contemporain. C’est pourquoi les rédacteurs du document final du synode ont été conduits à consacrer tout un chapitre sur ce thème de la synodalité mettant ainsi en mots le chemin que nous avons parcouru. Et par là donner à entendre ce clair appel à mettre en œuvre localement à tous les niveaux « la synodalité missionnaire » dans l’Eglise.
Et il me semble que la vie religieuse, de par son expérience concrète du discernement comme style de vie, a un rôle particulier à jouer dans la réception de ce synode.

Pentecôte
Le synode, une nouvelle Pentecôte

Comme j’ai pu le dire au début de mon intervention de 4’ en plénière sur l’importance du travail en équipe diversifiée pour la mission auprès des jeunes aujourd’hui, nous avons perçu et rendu grâce « pour ce souffle qui traverse notre assemblée, souffle de l’Esprit, souffle du concile Vatican II, souffle des jeunes qui renouvelle l’Église quand elle les met au centre ».
Ainsi, au cœur de nos travaux, nous avons vécu une sorte de nouvelle Pentecôte recevant comme une flamme, à la suite de Pierre et des apôtres au Cénacle, la force de l’Esprit. Le cœur tout brûlant, nous sommes « sortis » du synode après le vote du document final , comme Pierre et les apôtres du Cénacle, envoyés pour transmettre le feu du synode, ne pouvant taire ce que nous avons reçu. Nous sommes repartis de Rome tout joyeux et remplis d’espérance avec le désir vif d’être co-acteurs avec les jeunes de cette Eglise missionnaire qui va à la rencontre de tous les jeunes, en portant une attention particulière à ceux qui sont les plus éloignés et les plus en difficultés.
Tel Moïse au Buisson Ardent entend le Seigneur et le cri de son peuple – « j’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple… » (Ex3, 7) – au long de ces semaines nous avons entendu de manière forte les souffrances, les combats, les cris, les aspirations des jeunes. Ainsi la question de la migration qui touche en premier lieu les jeunes a été très présente dans nos échanges. Mais aussi celle du chômage ou du monde digital, sans oublier les persécutions, les injustices, l’insécurité, la pauvreté qui obscurcissent l’avenir de bien des jeunes de par le monde.

Nous avons aussi entendu de la part des jeunes présents des témoignages de foi qui nous ont édifiés, des histoires de salut qui nous ont données de toucher du doigt l’action de l’Esprit dans la vie de ceux et celles qui se laissent transformer par la rencontre du Christ. Nous en avons reçu un bain de jouvence, une foi ravivée, un élan missionnaire, un courage nouveau… Et finalement un appel à oser inventer avec audace de nouvelles manières d’être Eglise aujourd’hui dans une fidélité créative pour être plus proches des jeunes et marcher avec eux en leur donnant dans la confiance davantage de responsabilité.

Car nous avons compris plus profondément qu’ils font pleinement partie de l’Eglise et en sont mêmes un moteur missionnaire. C’est pourquoi, nous avons à chercher maintenant dans nos différents lieux d’Eglise comment les associer davantage comme partenaires de la mission, en premier lieu pour évangéliser les jeunes mais pas seulement. En effet sur bien des sujets, ils vont nous aider à être davantage aux frontières pour relever les défis actuels qui les interpellent particulièrement : la lutte contre les injustices et la pauvreté, l’humanisation et l’évangélisation du monde numérique, la réalité des migrants et réfugiés, la mise en œuvre de l’écologie intégrale selon Laudato Si, le dialogue interculturel et interreligieux, la place des femmes dans la société et dans l’Eglise…

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Laboratoire de vie ecclésiale
Le synode, laboratoire de vie ecclésiale ?

Finalement, le chemin synodal avec son focus sur l’accompagnement du discernement vocationnel chez les jeunes nous a permis d’approfondir ces mots-clés déclinés dans la deuxième partie du document final : la jeunesse, la vocation, le discernement, l’accompagnement.

La jeunesse, au chapitre 1 de cette partie II, est vue comme un don, un moment privilégié de la vie, celui du chemin à accomplir pour devenir un adulte mature qui peut s’engager au service des autres jusqu’à faire un choix de vie définitif. Ce chemin est un chemin de liberté et de libération, et pour l’accomplir les jeunes ont besoin de guides.

La vocation – chapitre 2 de la partie II – est présentée comme un mystère, le mystère de l’appel singulier de Dieu pour chacun qui donne de recevoir sa vie comme un don à donner. La vocation est ainsi à vivre comme une aventure, un chemin de transformation, une création continue, une identité dynamique. Une vocation ne se comprend et ne se reçoit qu’à l’intérieur de la vocation même de l’Eglise, communauté d’appelés, constituée d’une grande variété de charismes.

L’accompagnement au chapitre 3 est présenté comme la mission de toute l’Eglise appelée à accompagner chacun dans ses différents choix (les engagements, le métier, la forme de vie…). Le discernement vocationnel se vit dans un accompagnement à la fois communautaire et personnel qui requiert aujourd’hui de mettre l’accent sur la formation d’accompagnateurs de qualité à même de pratiquer et transmettre à d’autres l’art du discernement.
Cet art du discernement – bien décrit au chapitre 4 – est un service de la liberté qui s’exerce dans ce lieu de la conscience personnelle et dans ce que la tradition biblique nomme « le cœur », ce lieu intérieur de l’écoute et de la rencontre de Dieu.

Dans la suite des deux synodes sur la famille et d’Amoris Laetitia, ce synode a donc mis en lumière l’enjeu de penser aujourd’hui la vie chrétienne dans un monde complexe comme un style de vie, celui du discernement, qui est un art de vivre à l’écoute de l’Esprit en osant poser des choix en réponse à l’appel du Christ.

Or on ne peut discerner seul mais seulement dans une écoute commune de l’Esprit avec des frères. En ce sens, le synode comme processus se présente comme un véritable laboratoire ecclésial de discernement tout autant qu’un laboratoire de fraternité pour nous aider à devenir plus concrètement ces frères et sœurs « discernant » appelés ensemble à mettre en pratique cette communion missionnaire qu’est l’Eglise-en-sortie.

La synodalité mise en lumière par ce synode peut ainsi se comprendre comme chemin de formation à cet art de vivre ensemble dans l’Eglise plurielle du monde pluriel qui est l’art de vivre en chrétien selon le style missionnaire de Jésus et des premières communautés chrétiennes. Un style qui, à l’école du Pape François, met l’accent sur la miséricorde et la vocation commune des baptisés, tous appelés à la sainteté. Dans cette Eglise synodale, les disciples missionnaires qui se savent pauvres pécheurs fragiles se découvrent avec émerveillement appelés à être témoins en actes de cette miséricorde parce que coresponsables d’une Eglise toujours en chemin de conversion spirituelle, pastorale et missionnaire …

Nathalie Becquart, xavière, auditrice au #synod2018