Doctorante au Centre Sèvres, et membre du Centre de Recherche et d’Action Sociales (CERAS), Noëlie suit de près l’actualité écologique et le Synode pour l’Amazonie. Nous l’avons interrogée sur les mobilisations récentes autour des questions climatiques.
Saison de la Création, Sommet de l’ONU, marches pour le climat à travers le monde… Ces dernières semaines ont été marquées par une mobilisation massive des gens sur la question écologique et climatique. Comment relis-tu ces événements ?
La prise de conscience avance et la période que nous venons de vivre a été très riche. Tu mentionnais la saison de la Création : cela fait 30 ans que les orthodoxes en ont eue l’initiative, et elle est désormais portée par tous les chrétiens. Juste après cette période du 1er septembre au 4 octobre a commencé le Synode sur l’Amazonie. L’Eglise catholique espère que cet événement ecclésial va aider à mieux prendre conscience de la problématique écologique. Et, dans le monde entier, nous avons vu que les gens se sont beaucoup mobilisés pour le climat, en particulier au moment du Sommet de l’ONU. Tous ces événements manifestent une attente très forte.
En relisant tout cela, je me disais qu’un temps favorable nous est donné : un temps où il n’est plus tant question de l’urgence de la question écologique que de l’urgence d’agir.
En quoi consiste cette urgence d’agir ?
Depuis plusieurs siècles, l’humanité a fait l’expérience qu’elle peut se passer de Dieu : il est possible de ne pas croire en lui. Cela peut avoir des impacts sur la vie mais cela ne l’empêche pas. De la même manière, on peut faire l’expérience qu’il est possible de vivre sans les autres, en particulier sans les plus pauvres : on peut facilement créer deux mondes qui ne se rencontrent pas ; on peut se passer de son frère ou de sa sœur qui vit près de soi… Avec la question écologique, il y a quelque chose de différent : on se rend compte que l’homme ne peut pas vivre sans les autres créatures ou sans le reste de la création. Si on détruit la nature, on se détruit soi-même.
Rejet de Dieu, rejet de l’autre, destruction de la création : existe-t-il un lien entre ces 3 dimensions ? Porter atteinte à une dimension, est-ce porter atteinte aux trois ?
Il me semble qu’il y a une progression : se réveiller pour la Création permet d’affronter la question de l’autre qu’on ne veut pas voir, et au-delà se pose la question de la transcendance. Dans ce monde post-moderne, on voit bien qu’une quête spirituelle se manifeste. La crise spirituelle, la crise sociale et la crise environnementale ou climatique sont trois dimensions d’une même crise : la volonté humaine de se passer de Dieu, des autres (notamment les plus vulnérables) et du reste de la création.
Dans les mobilisations récentes, on a vu un phénomène nouveau : la prise de paroles des jeunes…
Il y a une quinzaine d’années, on parlait des générations futures : nous devions nous mobiliser pour elles. Quelques années plus tard, le discours était le même mais s’y ajoutait la dimension de justice intragénérationnelle, entre les pays, les continents. Aujourd’hui, partout où l’on se mobilise, c’est non plus pour les générations de demain mais pour celles d’aujourd’hui. Les enfants eux-mêmes nous disent que c’est une question de survie pour nous tous. Le temps se réduit, les enfants souffrent et sont dans l’angoisse pour leur propre vie. Que des enfants et jeunes de 4 continents aient porté plainte contre des Etats au nom du droit des enfants est extrêmement significatif.
Tu parlais de l’urgence d’agir… Devant l’ampleur de la tâche, notre impuissance n’est-elle pas à son comble ? Disposons-nous, à notre échelle, de réels leviers d’action ?
Il y a une articulation très forte entre la dimension personnelle et la dimension sociétale – les associations de quartier, les ONG, l’action politique. On peut facilement dire que l’action politique va entraîner des transformations. Cela est vrai : il y aura des transformations structurelles. Mais celles-ci ne suffisent pas : si l’action politique n’est pas accompagné de transformations personnelles, il n’y aura pas de durabilité. Je dirais que la conversion personnelle à travers les petits gestes du quotidien est comme l’âme de la transformation structurelle.
La transformation personnelle au niveau de la vie quotidienne est semblable à un terreau. Si je ne me pose aucune question sur ma consommation par exemple, l’action du gouvernement n’aura aucun impact. C’est la raison pour laquelle, même si nos actions personnelles nous paraissent insignifiantes, il ne faut pas en sous-estimer l’effet.
L’effet n’est pas forcément visible à grande échelle…
Les actes que je pose vont me conduire sur le chemin d’une transformation personnelle. Car si je décide de réduire mes déchets, par exemple, je ne vais plus faire mes courses de la même manière ; je vais me rendre plus présente aux choses, pour choisir celles qui auront moins d’emballage, et je vais développer ma capacité de prévoir car il me faudra quelques contenants !
Ou bien, si je décide d’arrêter d’utiliser un produit qui contient des ingrédients toxiques – un produit pour la maison ou même parfois un produit de beauté… -, si je décide de l’arrêter pour ne pas avoir à le déverser à nouveau dans la terre, je vais chercher une alternative. Et je vais découvrir un produit naturel, et peut-être même un jour commencer à le fabriquer moi-même. Et là non seulement je découvre un substitut naturel qui n’a pas d’effet négatif, qui n’irrite pas, et qui même fait du bien, mais en plus j’accède à une connaissance que ma grand-mère peut-être avait mais que les industries m’avaient au passage dérobée. Je m’approprie un savoir-faire, je m’ouvre à une nouvelle manière de voir les choses : cela me transforme. Cela procure en plus un sentiment de fierté ! Car la transformation ne touche pas seulement à notre agir ; elle est ouverture à un savoir-faire.
On parle de conversion écologique…
La conversion écologique est une conversion profonde de la personne. Car les gestes que nous posons nous transforment. Si je transforme ma maison – en utilisant des produits naturels par exemple -, la maison, après, me transforme : c’est un cercle vertueux. Je ne pose pas seulement des gestes pour le climat : je me laisse aussi transformer par les gestes que je pose. Certains diraient que ce n’est pas le climat qu’il faut changer, c’est nous qui devons changer.