Dans le cadre d’une soirée de la chaire Jean Rodhain  sur le thème « Communautés chrétiennes, au risque de l’hospitalité », Mireille Mion a témoigné de sa rencontre avec Aziz, jeune afghan demandeur d’asile.

La communauté des xavières met à la disposition du Service Jésuite des Réfugiés (JRS) un studio pour un accueil de longue durée pour des demandeurs d’asile en cours de procédure.

Depuis janvier 2019 nous accueillons donc Aziz (le prénom a été modifié), un jeune Afghan d’une trentaine d’années, qui a bénéficié un temps de l’accueil Welcome. Il est « dubliné », en possession de papiers temporaires ; il a l’autorisation de travailler. Son travail lui permet d’être à peu près autonome financièrement parlant.

Pour cet accueil, nous avons établi une convention avec JRS qui reste son référent et l’assiste dans ses démarches administratives, médicales et autres.
Il a été décidé de demander une participation financière correspondant aux charges de l’appartement, ce qui représente un loyer très modeste, mais lui permet de participer à son accueil et de ne pas être dans un statut d’assisté.
Il est complètement autonome dans son logement et peut en disposer à sa guise.

De notre côté, en communauté, nous nous sommes engagées à lui être une présence amicale, et à tisser des liens avec lui.

Au bout d’un an de ce compagnonnage, je voudrais partager quelques points plus marquants de cet accompagnement :

Son désir de s’intégrer quelque part, de pouvoir s’enraciner, d’avoir une vie sociale normale.

Il est très soucieux d’être « en règle » avec ce qui a été décidé : tous les 1ers du mois, très ponctuellement, il cherche à me joindre pour pouvoir me régler sa participation. J’apprécie cette occasion de pouvoir prendre de ses nouvelles, ou de l’inviter, en tous cas de ne pas le perdre de vue… Il est aussi très précautionneux avec le lieu qu’il habite, en en prenant grand soin. Et c’est vrai que cela est très aidant et sécurisant pour nous.

Régulièrement il nous invite à partager un repas, déguster un plat de son pays qu’il cuisine lui–même (et il cuisine très bien !), tout en cherchant à honorer les codes sociaux français (offrir du vin, du pain frais…). Il manifeste sa joie de nous voir apprécier ce qu’il a préparé pour nous. L’appartement étant petit, il nous invite 3 par 3 ; à part moi qui suis à ses yeux une invitée obligatoire, les autres viennent à tour de rôle… Cette possibilité d’inviter, de faire découvrir un plat afghan, d’offrir quelque chose à son tour est pour lui très importante… Nous avons à cœur de répondre à ses invitations.

Nous l’invitons aussi de temps à autre à partager un repas chez nous, ou une fois à une sortie à Chartres (il était tout heureux de découvrir autre chose de la France). Je crois qu’il aime bien venir, mais il préfère très nettement que nous allions chez lui. Quand il vient, il apporte toujours quelque chose.

Dernièrement, comme nous avons du mal à coordonner nos horaires, il s’est mis à nous apporter des pizzas de son lieu de travail ; il nous les laisse pour notre repas… Je suis très touchée par sa générosité et sa délicatesse à notre égard, manière pour lui d’exprimer sa reconnaissance et son amitié.

Cet accompagnement dans la durée permet aussi de toucher du doigt le côté douloureux  d’un tel parcours, le temps long nécessaire pour avancer vers une situation plus stable.

Avant d’atterrir chez nous, Aziz a connu un parcours long et très peineux : Russie, Norvège, Allemagne, France Apprenant chaque fois quelques rudiments de chacune des langues de ces pays… Depuis que nous nous connaissons, j’ai l’impression que le fait qu’il ait pu se poser quelque part lui permet peu à peu de laisser remonter le traumatisme vécu, d’exprimer sa souffrance d’être loin de chez lui, loin de sa famille, de ses amis, sans espoir de retour à cause de la situation agitée de son pays, souffrance aussi de ne pouvoir parler sa langue, d’avoir du mal à apprendre à parler le français…

Petit à petit il se donne les moyens de prendre en compte cette souffrance profonde, et de ne pas seulement traiter les désordres somatiques qui lui sont liés (mal au ventre, au dos, aux pieds, à la tête…). Il a ainsi pris récemment contact avec une association spécialisée dans le suivi des traumatismes liés à l’exil, à la guerre…

Il a enfin pu s’inscrire à des cours de français : ses horaires de travail lui rendaient cette démarche compliquée, mais je crois aussi qu’il avait besoin d’être en confiance ici pour se lancer plus à fond dans cette aventure.

Se faire soigner n’est pas si évident : lui connaît certains traitements, ou a lu sur internet des remèdes qui lui semblent intéressants pour lui ; mais ces traitements n’existent pas en France, ou ne sont pas nécessairement les plus adaptés pour lui… Il lui faut alors faire confiance, lâcher prise, accepter qu’on prenne soin de lui autrement, alors même que son état ne s’améliore pas immédiatement…

Voyant sa solitude et sa tristesse, j’ai pensé un temps qu’il devrait peut-être rejoindre des lieux ou associations où se retrouvent des afghans. Mais j’ai réalisé que les relations entre afghans sont compliquées et vite conflictuelles, en fonction des groupes ethniques d’origine… la confiance est très difficile… Dans son cas, l’urgence est de pouvoir se faire des amis garçons et filles ici, autres qu’afghans. D’où la nécessité de parler français, de se faire aider… Pas de retour en arrière possible, d’aucune manière. J’admire son courage et sa simplicité à accepter notre aide et compagnonnage, que je reçois comme un vrai cadeau qu’il nous fait.

Le projet actuel avec JRS est de l’aider à trouver un logement pérenne, pour qu’il puisse vraiment s’installer quelque part, avoir une adresse à lui (il a pour le moment conservé une boîte postale à Créteil, ce qui lui occasionne des trajets supplémentaires fatigants), se sentir vraiment intégré quelque part.

Je pense qu’aujourd’hui notre communauté est un peu pour lui comme une famille. Les relations, pas très fréquentes, sont toujours très amicales et confiantes. A travers lui, nous découvrons quelque chose de la réalité de l’Afghanistan et de la condition d’un exilé ayant fui la violence et la guerre.

Au début surtout, cet accueil s’est révélé assez prenant pour moi. Il appelait souvent pour des demandes soit de présence, soit d’aide concrète… J’y ai toujours répondu volontiers, comme j’aurais fait avec un petit frère. Attentive à ne pas le laisser sans réponse trop longtemps (même si je ne suis pas toujours très réactive !). Il nous a fallu aussi un temps réciproque d’ajustement pour découvrir comment chacun fonctionne et en tenir compte dans nos manières respectives d’être en relation.

Personnellement je trouve qu’il y a quelque chose de très heureux dans cet accueil et le lien avec JRS est précieux pour que cet accueil reste d’ordre amical et non pas un accueil social, dans le sens ou il faudrait le prendre en charge. La mise à disposition du studio permet une transition d’une situation quelque peu « errante » ou « migrante » à une situation plus stable qui permet d’envisager un avenir, s’inscrire dans un lieu, un pays…