Xavière en communauté à Korhogo dans le nord de la Côte d’Ivoire, Marie-Madeleine N’Guessan nous partage ce qui a été vécu dans son diocèse autour de la démarche synodale.

Marie-Madeleine est directrice de la bibliothèque « Le monde à notre porte » qui accueille des écoliers, des lycéens et des étudiants, et elle participe à la pastorale étudiante. Théologienne, elle est aussi membre de la commission diocésaine pour la pastorale biblique.

Marie-Madeleine, comment as-tu été, ou es-tu encore, impliquée dans la démarche synodale du diocèse de Korhogo ?

En octobre dernier, quelques jours avant l’ouverture officielle du Synode par le Pape François à Rome, notre Évêque m’a demandé d’être la personne contact pour le diocèse de Korhogo. J’ai compris qu’il nous revenait, avec l’équipe d’une dizaine de personnes que j’ai formée, d’organiser et de mettre en œuvre la phase diocésaine du Synode.

Nous avons donc pris en charge la sensibilisation et l’information du peuple de Dieu dans toutes ses couches, y compris les prêtres qui ne paraissaient pas plus avancés que les laïcs sur ce chemin synodal.

Avec mon équipe, nous avons organisé la consultation, la collecte des contributions diverses et la rédaction de la synthèse diocésaine, ainsi que sa validation par un groupe assez représentatif de notre Église locale.

Quelles convictions et quelles questions ont été exprimées dans les synthèses envoyées au diocèse ?

En dehors de la supervision de la consultation pour le diocèse de Korhogo, j’ai participé à une consultation synodale, comme simple membre, dans le cadre de l’Union continentale des supérieurs majeurs religieux d’Afrique. Nous étions réunis en Assemblée Générale au Burkina Faso en février 2022. Nous avons soulevé la question de la collaboration et du partage des responsabilités entre prêtres et religieux dans la charge pastorale. Le manque de reconnaissance du travail des religieuses et notamment l’absence de rémunération a été exprimé ainsi que la question de la proximité et de l’attention de l’Église envers les personnes les plus vulnérables. Autre point très sensible : la formation des laïcs et leur engagement effectif dans la mission de l’Église. Comment mettre en place un réel partage des responsabilités avec les prêtres ?

Comment le diocèse, les paroisses, les différents mouvements et groupes ont-ils répondu à l’appel du Pape que vous leur faisiez entendre ?

Je dois avouer qu’il n’y avait pas d’enthousiasme au départ ; les fidèles dans l’ensemble ont eu du mal à comprendre la démarche et à y entrer. Il a fallu s’expliquer beaucoup sur le bien-fondé et les objectifs du synode ; il a fallu mettre beaucoup d’énergie pour sensibiliser, informer et former ceux et celles qui allaient mener la consultation à la base (les agents pastoraux et les animateurs de groupes). Cependant, la consultation a pu se faire auprès d’une proportion non négligeable de fidèles regroupés en CEB (Communauté Ecclésiale de Base) ou dans le cadre de mouvements. A une exception près, pas de groupe qui se soit constitué uniquement pour la consultation.

Les groupes qui ont réussi à instaurer un véritable échange (ceux qui ne se sont pas contenté de répondre à un questionnaire) ont finalement été très heureux de la démarche et ont fini par trouver un intérêt à la consultation, ce que n’était pas gagné d’avance. Nos fidèles sont un peu méfiants et sceptiques par rapport à ce type de démarche qui souvent ne débouche sur rien de concret !

Photo de famille à la fin de la réunion de validation de la synthèse diocésaine
Séance de travail avec des pasteurs de l'Église Baptiste (AEBECI)
Rencontre avec un secteur pastoral à Napié

 Est-ce que le cléricalisme a été abordé et quelles démarches pour le contrer ?

Cette question n’a pas été soulevée en tant que telle parce que le terme est très peu courant chez nous. Par ailleurs, la question des abus de tout genre qui a conduit à la dénonciation du cléricalisme reste encore un sujet relativement tabou. Il y a très peu de plaintes ou de reproches exprimés à l’encontre des clercs dans les réponses que nous avons obtenues. Cependant, les chrétiens se plaignent parce qu’ils ne sont pas suffisamment consultés et écoutés, beaucoup de décisions ne tiennent pas compte de leurs réalités ou spécificités… mais il n’y a pas eu de remise en cause globale du système ou du fonctionnement de l’Église.

Qu’est ce qui t’a le plus touchée et te parait porteur de conversion et d’avenir ?

Ayant participé à la compilation de l’ensemble des contributions des groupes, je pourrais retenir quelque chose sur chacun des dix thèmes qui ont été proposés pour la consultation. Je choisis ici de souligner les trois qui m’ont le plus marquée.

1. La coresponsabilité dans la mission

Dans notre Église locale, beaucoup de fidèles sont engagés dans la mission de l’Église par leur participation aux activités de la paroisse, comme membre du Conseil Pastoral Paroissial, d’une CEB (Communauté Ecclésiale de Base), d’un groupe de prière, d’un mouvement ou d’une association. Beaucoup assurent aussi certains services tels que la catéchèse, la liturgie, le service d’ordre, les visites aux malades ou aux prisonniers, etc. Par contre, ils sont peu nombreux à savoir qu’ils peuvent vivre de manière missionnaire leurs engagements dans la société. Beaucoup l’ont découvert à l’occasion de cette consultation.

J’ai été touchée par les attentes des fidèles pour bien vivre leur service en Église et dans la société. Ils souhaitent une formation humaine et spirituelle adéquate à travers la catéchèse, des homélies bien faites, des récollections et des retraites spirituelles… Je me sens particulièrement interpellée… Que pouvons-nous créer pour accroître les capacités des fidèles de manière à relever le défi de la coresponsabilité dans la mission ?

2. Le dialogue avec les autres religions

Un certain nombre de groupes avaient choisi de travailler ce point. En équipe diocésaine synodale, nous avons souhaité faire un groupe spécifique pour l’aborder. Nous avons invité quelques pasteurs de l’Église Baptiste (Église issue de la Réforme majoritaire dans cette Région), quatre d’entre eux ont répondu à l’invitation. Deux membres de l’équipe synodale et le prêtre responsable de la commission diocésaine du dialogue œcuménique se sont ajoutés à ces quatre pasteurs pour faire un groupe de partage spécifique. Ce fut une rencontre remarquable par la qualité des échanges. Les pasteurs ont été très sensibles au geste de les associer à la consultation synodale. Il n’y a pas de cadre de dialogue formel entre les deux communautés et les rapports sont en apparence cordiaux mais il arrive parfois que certains préjugés et des incompréhensions conduisent à vivre la relation sous le mode du conflit plus ou moins ouvert. A cette occasion, j’ai senti une grande ouverture et une disposition pour le dialogue ce qui est vraiment nouveau. Est-ce suffisant pour amorcer un véritable mouvement vers le dialogue et l’échange formel entre nos deux communautés ? L’avenir le dira.

3. La formation à la synodalité

Je voudrais enfin mettre l’accent sur le dernier thème proposé à notre réflexion lors de la consultation du peuple de Dieu : la formation à la synodalité. Vivre l’Église synodale va probablement demander à tous de gros efforts de conversion mais aussi, et surtout, beaucoup de créativité dans la démarche pastorale. Ici comme partout ailleurs, l’Église est confrontée à une société de plus en plus marquée par la diversité culturelle, économique et sociale ; l’acteur en pastorale ne pourra se contenter d’appliquer le manuel des sacrements, il lui faudra comprendre chaque situation dans sa complexité, prendre des initiatives et collaborer avec d’autres dans la recherche de solutions appropriées. C’est pourquoi, à l’avenir, la formation pastorale devra intégrer deux dimensions importantes : l’écoute ainsi que le discernement collaboratif et communautaire. Des aptitudes à ne pas considérer comme des qualités innées qui se développent avec le temps ou l’expérience mais comme des compétences qui s’acquièrent par un apprentissage méthodique.

Comment la démarche se poursuit-elle ?

Rien de précis pour l’instant ! L’idée est de continuer à parler du synode et de ses objectifs (communion, participation et mission) pour que le plus grand nombre de chrétiens en soit imprégné. Nous allons diffuser le plus largement possible la synthèse réalisée à la suite de la consultation ainsi que les orientations qui ont été dégagées par l’équipe synodale, puis inviter les communautés paroissiales à choisir l’un ou l’autre axe à mettre en œuvre concrètement. Le chemin synodal se poursuit !