Comment mieux lutter contre l’emprise et les violences sexuelles dans l’Église ? Comment contribuer à réformer les structures qui ont pu laisser place à de telles dérives ?
En décembre dernier, Christine Danel, supérieure générale de La Xavière, avait ouvert quelques pistes lors d’une conférence au Centre Sèvres sous le titre « Une Église contrainte à la réforme ».
C’est dans la nature même de l’Église de se réformer. C’est sa crédibilité qui est en jeu, sa mission même.
Écouter, entendre le cri !
Le premier point qui me marque c’est l’importance du cri, de la colère, de l’indignation, une parole qui se dit et se fait entendre !
- Le cri des victimes d’abord, enfin entendu, et écouté, même si ce travail d’écoute est toujours à reprendre tant il est parfois insoutenable d’entendre les conséquences des crimes, le dévoiement du sacré, les vies dévastées !
- Il y a aussi la colère des communautés chrétiennes. Le peuple de Dieu est scandalisé non seulement par les crimes commis mais également par la banalisation du mal, la facilité à taire, à garder sous silence, à protéger les auteurs de crimes.
Ce que dit le Pape François sur l’écoute du peuple de Dieu est un appel très fort pour les pasteurs. Non pas une écoute condescendante, mais une véritable écoute de l’Esprit à l’œuvre au cœur du Peuple de Dieu, qui crie et attend des signes concrets pour redonner sa confiance.
Appeler les choses par leur nom
Le sens des mots a été perverti pour cacher ce qui faisait notre honte. Quand on parle en Église d’ «affaires», de « gestes inappropriés », de « gestes contre la chasteté »… Il faut traduire, crime, agression sexuelle, viol sur enfant ou sur personne rendue vulnérable…
Les mots donnent de révéler une réalité, de la mettre au jour.
Nous sommes très forts en Église pour utiliser un langage feutré, voire parfois un double langage. Pourtant, Jésus ne mâchait pas ses mots et la tradition de tous les prophètes de l’Ancien Testament ont en permanence dénoncé le mal, mis au jour les malversations, l’oppression des plus pauvres…
On a longtemps confondu « cacher et tenir sous silence des faits », et être miséricordieux… Aujourd’hui, il y a un vrai travail pour tenir ensemble, articuler justice et miséricorde, sans nier la justice.
Il faut exercer une justice, c’est à dire donner de justes sanctions, et que celles-ci soient connues et publiées pour chercher d’autres victimes surtout quand on a à faire avec des prédateurs en série. Je suis parfois étonnée de la faiblesse des sanctions, ou de leur opacité, ce qui parait de l’extérieur être une protection des clercs.
Nommer les actes commis, c’est sortir de la confusion, et déjà faire œuvre de réparation, de justice. On le voit dans les expériences de réparation déjà vécues entre des instituts religieux, dont certains membres ont été prédateurs, et des victimes dans le cadre de la Commission Reconnaissance et Réparation.
Sortir de l’idéalisation et de la sacralisation
La manipulation du sacré et son dévoiement a été possible car nous avons tous une propension à idéaliser des personnes, à sacraliser des êtres humains, à nous mettre sous une forme de dépendance de l’autre. Cette dépendance est parfois encouragée par une compréhension de l’obéissance comme soumission servile, ce qui est une parodie de l’obéissance véritable qui, elle, suscite des êtres libres.
Cette tentation d’idolâtrie est dénoncée dans la Bible depuis les origines. J’aime cet épisode dans les Actes des apôtres au chapitre 14, quand Paul et Barnabé se jettent sur la foule qui veut les mettre sur un piédestal alors qu’ils viennent d’accomplir un miracle au nom de Jésus ! « Malheureux, que faites-vous là nous ne sommes que des hommes comme vous ! »
En ce sens, une réflexion sur le ministère sacerdotal pourrait être utile. Ce sont bien des hommes qui sont ordonnés. Comment l’humanité avec toutes ses composantes, y compris sexuelles, est-elle prise en compte dans la formation des prêtres ? Quelle est la place des sciences humaines dans la formation ?
Si nous prenons au sérieux notre humanité, nous devrions accepter aussi de reconnaître que l’Église est d’abord une institution humaine, et qu’elle répond à des lois humaines, avec ses logiques propres et ses perversions. Or l’Église se pense parfois au-dessus des lois humaines. Mais qu’est ce qui est sacré si ce n’est cette relation de Dieu avec l’Humanité ?
Parce qu’elle est au service de ce qu’il y a de plus sacré, la conscience, l’âme, la relation la plus intime avec Dieu, les mesures de prudence et de contrôles devraient être encore plus importantes. Pour prendre une comparaison, dans le domaine de la santé ou de l’énergie, si l’on s’occupe d’un virus dangereux ou de l’énergie atomique, on met en place des contrôles de sécurité très importants. Que mettons-nous en place en Église pour protéger ce qui est sacré ?
Propositions pour améliorer et rénover la gouvernance
Il importe d’éviter la concentration des pouvoirs sur une personne. L’évêque comme le supérieur religieux a autorité et en cas de problème, il est juge et partie. Il se doit d’accompagner ses prêtres et les juger. Si c’est l’évêque lui-même qui est en cause, ses frères évêques n’ont aucun pouvoir sur lui. Il faut beaucoup de courage et ’on sait combien c’est difficile de dénoncer sa propre famille.
Il est donc capital de sortir de l’entre soi, et d’assurer une justice indépendante, comme dans tout état de droit, ce qui est en train d’être fait avec le tribunal canonique national.
Il faut au maximum externaliser les procédures ou mettre en place des structures de soutien et de conseil, pour aider les évêques et supérieurs à prendre les décisions.
La vie religieuse pourrait sans doute apporter des éléments d’inspiration pour réguler le pouvoir, et penser des contre-pouvoirs. Des mandats, des conseils dont l’accord formel est nécessaire pour certaines décisions importantes, des chapitres auxquels on rend compte de son mandat.
Intégrer davantage encore les femmes dans la gouvernance de l’Église, et à tous les niveaux, pour un équilibre et une ouverture. Non que les femmes soient forcément plus vertueuses, mais c’est un gage d’altérité, de regard et de sensibilité différente.
Utiliser des outils qui ont fait leur preuve dans les entreprises pour analyser les risques d’abus dans l’Église à chaque niveau.
Favoriser la transparence des processus et lisibilité des informations données au peuple de Dieu.
Assurer une formation continue des pasteurs, notamment en ressources humaines, pour accompagner les prêtres et laïcs en mission ecclésiale par un management respectueux des personnes.
En conclusion
L’écoute des personnes et des communautés est essentielle, comme Jésus l’a fait pour Bartimée, quand les disciples voulaient le faire taire.
Faire confiance que l’Esprit est à l’œuvre dans l’Église, dans toutes les composantes du peuple de Dieu, voilà sans doute la clé pour avancer, pour retrouver le courage nécessaire, et agir en conséquence. Car sans doute des réformes de structures et de gouvernance sont-elles nécessaires, mais celles-ci ne suffisent pas, il faut les faire vivre par un Esprit en étant vraiment à l’écoute les uns des autres, ce que le Pape François appelle de ses vœux par le processus synodal en cours.
Ignace de Loyola a vécu à une époque où l’Église était bien en crise également. Il a constamment cherché à se réformer lui-même, ainsi que sa propre maison quand on lui demandait le meilleur moyen pour réformer l’Église. C’est sans doute une tâche pour nous tous !
Pour aller plus loin
Promesses d’Église est un collectif d’organisations catholiques, dont fait partie La Xavière, qui sont désireux de relever le défi lancé par le Pape François en 2018 : « engager la transformation ecclésiale et sociale dont nous avons tant besoin ».
Le groupe de travail sur la synodalité a élaboré un arbre de la synodalité, qui est un outil pour aider à réfléchir à ce qui favorise l’écoute et la participation de chacun en Église. Christine Danel présente cet arbre dans la vidéo ci-contre, et explique comment il peut être utilisé dans différents groupes.