La dernière parole de Dieu entendue pendant le temps pascal fait résonner à nos oreilles la question du pardon. Mais peut-on tout pardonner ?

Méditation de Véronique Rouquet sur l’évangile entendu le jour de la Pentecôte (Jn 20,19-23)

La dernière parole de Dieu entendue pendant le temps pascal fait résonner à nos oreilles la question du pardon. « À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » (Jn 20,23). Cette parole de Jésus va loin : elle semble indiquer que Dieu ratifiera notre attitude envers le pécheur. Il remettra les péchés ou les maintiendra selon notre propre jugement. Quelle responsabilité ! Mais quel poids aussi pour celui qui, pour une raison ou une autre, ne peut pas pardonner !

J’ai aimé dans le livre de Guilhem Causse Le pardon ou la victime relevée (Salvator 2019) que l’auteur présente le scandale fait au petit (Cf. Mt 18) comme un crime insensé, incompréhensible, qui fait basculer la victime – et le bourreau aussi ! – dans un abîme sans fond, dans des ténèbres où la souffrance et l’isolement sont un cri sans personne pour l’entendre. Il n’est pas question ici de dispute, d’insulte mais de crime grave qui confine à l’homicide. La victime, même si en apparence elle vit encore, est morte au-dedans. L’intrusion par effraction dans son être l’a brisée. Qui peut l’en sortir? Le bourreau est lui aussi pris à son propre piège. Nul n’attente à la liberté profonde de l’autre et donc à sa vie sans mourir aussi.

Il en est un et un seul qui est allé au fond de l’abîme chercher la brebis précieuse qui erre dans les ravins de la mort.

En ce premier jour de la semaine (Cf. Jn 20,19-23), Jésus montre aux disciples ses mains et son côté. Il a vécu, du côté de la victime, l’intrusion par effraction et le non-sens absolu de sa mise à mort, lui, l’Innocent, l’Enfant sans défense.

Ce n’est pas rien que Jésus rejoigne les disciples alors que les portes étaient verrouillées. Les disciples, nous dit le texte, ont peur des Juifs. La prison volontaire dans laquelle ils se sont enfermés dit quelque chose de l’abîme dans lequel eux aussi se trouvent, à l’image de toutes les victimes de tous les temps.

Jésus les rejoint là.

Il n’y a pas plus salvateur que la présence de l’Autre – et quel autre, « Je suis », Dieu lui-même – dans ce lieu de nos morts. Car alors on n’est plus mort justement. On n’est plus seul. On a été entendus. Quelqu’un est venu nous chercher et a posé sur nous une parole qui nous a ré-humanisé. La vie comme une sève en soi se remet à couler. Quelqu’un a tout traversé pour nous retrouver et nous ramener, brebis apaisée, dans le lieu de la vie.

« Je vous envoie », dit alors Jésus. Cet envoi est une poussée hors de la prison vers la Lumière, un retour à la vie qui sera à nouveau possible, avec des personnes qui ne seront plus des menaces.

Il est beau ce psaume 103 qui chante la profusion des œuvres du Seigneur et nous conduit à voir la Création comme son œuvre si belle et fourmillante de vie. Le jour où on peut voir la Création ainsi c’est qu’on a trouvé, je crois, son Chemin de sortie, le Soleil de nos vies.

Quelle gratitude pour ce chemin pascal que le Christ trace en chacun. C’est cela son Salut qu’il nous offre, la vie qu’il nous donne à nouveau ! C’est cela le pardon : non pas celui que l’on devrait donner, en une exigence insurmontable et inhumaine, selon ce qui a été vécu. C’est la mise au large, c’est la liberté retrouvée, c’est le Jour qui se lève… C’est aussi et surtout l’autre qui, de menace ou d’objet, est devenu pour nous un frère ou une sœur. Lorsque cela est advenu, c’est que le Christ a fait son œuvre en soi, et que tout est réconcilié. C’est le monde nouveau, la fête du Royaume. Christ vraiment ressuscité.

Le bon Pasteur - Sieger Köder