Topo # 1 : il se passe quelque chose en moi

On a souvent l’habitude de parler de ce qui se passe dans nos journées à l’extérieur : les faits, les événements. On a beaucoup moins l’habitude non seulement de parler, mais même de faire attention à ce qui se passe en nous.

Pensons simplement à l’état dans lequel je me suis réveillé.e ce matin, non pas l’état physique, mais ce qui m’habitait : la joie, la tristesse, l’élan ou le découragement… Et maintenant, suis-je dans le même état ?

Nous sommes des vivants : il se passe beaucoup de choses en nous, mais nous n’y prêtons pas attention ! Nous nous laissons souvent ballotter au gré des circonstances.

L’originalité de l’expérience de saint Ignace va être de remarquer ce qui se passe en lui et d’y porter toute son attention pour essayer de comprendre ces mouvements qui l’agitent. Car ces mouvements ont quelque chose à nous dire ! Un mouvement, c’est ce qui bouge, qui va d’un endroit à un autre. Un mouvement m’entraîne dans une direction. L’important est de savoir d’où il vient et où il me mène.

Saint Ignace nous dit : « Je présuppose qu’il y a en moi trois sortes de pensées : l’une qui m’est propre, qui naît de ma seule liberté et de mon seul vouloir ; et deux autres qui viennent du dehors, l’une qui vient du bon esprit et l’autre du mauvais. » (Exercices spirituels n°32)

Les pensées sont tout ce qui nous traverse l’esprit et souvent vient envahir notre cœur.

  • Celles qui viennent du dehors, du bon et du mauvais esprit
    Par exemple, je travaille avec un collègue qui a l’air soucieux et le bon esprit m’invite à lui adresser une parole fraternelle. Au contraire, je suis énervé.e et le mauvais esprit me pousse à répondre mal à la première personne qui m’aborde.
    Ces pensées viennent du dehors : je n’en suis donc pas responsable, ni coupable. Elles ne sont pas de moi quant à leur origine. Tout va dépendre ensuite de ma réponse : de mon consentement ou de mon refus.
  • Celles qui viennent de ma liberté
    Par exemple, je peux décider de résister à la corruption, et je veux m’y tenir. Ou bien je cherche comment me venger pour faire payer une parole qui m’a blessé.e.

Nous sommes des êtres libres, même si nous sommes conditionnés par notre histoire, notre environnement. Me laisser mener par mes pensées au fil des circonstances sans prendre le temps d’y exercer ma liberté est une démission, je ne suis plus un homme, une femme responsable de ma vie.

Face à telle pensée dont je ne sais pas forcément d’où elle surgit, j’ai à la regarder en face : où va-t-elle me mener ? Vers un accroissement de vie ? Alors je peux ouvrir large la porte de mon cœur, y engager toute ma liberté. Si au contraire, je vois que cette pensée m’emmène sur un chemin à la dérive, à un mal pour moi ou pour les autres, je vais y résister, lutter pour ne pas laisser cette pensée m’habiter.

Certes, nous avons beaucoup de conditionnements intérieurs ou extérieurs, liés à notre histoire, notre tempérament, notre milieu, notre santé. Mais il nous reste toujours un espace de liberté, où nous pouvons dire oui ou non, accueillir ou refuser ce qui nous habite.

D’où l’importance de prendre conscience de ces mouvements intérieurs qui me traversent, pour pouvoir y exercer ma liberté.

Exercices pour la semaine

En fin de journée

Le soir, je prends un temps tranquille et je laisse monter à ma mémoire ce qui m’a habité.e au long de la journée, en vérité.

Par exemple j’ai été contrarié.e par…
ou au contraire j’ai été encouragé.e par…
J’ai été habité.e par la joie, ou bien j’ai eu un sentiment de peur, de jalousie…

Je le note simplement, sans me juger, et je me présente au Seigneur : « me voici tel(le) que je suis ».

Au long de la semaine

Je m’exerce à repérer ce qui se passe en moi, les mouvements qui me traversent. Petit à petit, j’identifie ceux qui me portent vers la vie, et ceux qui me mènent à la dérive.

« Sois le portier de ton cœur et ne laisse aucune pensée entrer sans l’interroger. Interroge-les une à une et dis à chacune : es-tu de notre parti ou du parti des adversaires ? Si elle est de ta maison, elle te comblera de paix ; si elle est de l’adversaire, elle t’agitera de colère ou te troublera de désir. Il faut donc scruter à tout instant l’état de ton âme. »

Evagre le Pontique (moine du 4° siècle)

Lecture et prière

  • Je peux lire la vie d’un saint en repérant les mouvements spirituels qui l’ont traversée.
  • Je nourris ma prière avec des psaumes. Par exemple  avec les psaumes 1, 85 ou 138

L’expérience de saint Ignace de Loyola

Charles Hénin - Autobiographie d'Ignace

Ignace est un jeune seigneur, né en Espagne, à Loyola, en 1491. Il recherche les plaisirs du monde, les honneurs. Il dit lui-même qu’il est vaniteux. C’est un militaire qui aime les armes. Il se trouve à Pampelune, ville assiégée par les Français et incapable de résister. Tout le monde songe à se rendre, mais Ignace refuse car il veut sauver l’honneur.

Après six heures de combat, un boulet vient lui briser la jambe au-dessus du genou. Ils sont obligés de se rendre. Les vainqueurs le soignent et le renvoient chez lui quelques jours après. Là, on l’opère, car ses os sont mal remis. Son état s’aggrave. Il est proche de la mort. Puis, il reprend des forces et va beaucoup mieux. Mais les os se soudent en se chevauchant. Il se rend compte qu’il restera difforme, avec une jambe plus courte que l’autre, ce qui l’empêchera de continuer sa vie de plaisir. Il ne peut supporter cela et décide de se faire réopérer. C’est un vrai martyre car il n’y a pas d’anesthésie à l’époque.

Il se remet bien. Convalescent, il n’a plus qu’à attendre. Forcé de rester dans son lit, il commence à s’ennuyer. Il demande alors des livres de chevalerie qui racontent les histoires d’amour et de combats. Mais on n’en trouve pas et on lui apporte ce qu’on trouve dans la maison: « Une vie du Christ » et un livre sur la vie des saints. Faute de mieux, il les lit et y trouve un certain intérêt.

De temps en temps, il s’arrête de lire pour penser aux choses du monde et en particulier à ce qui lui tient le plus à cœur : la femme de ses rêves qu’il envisage de séduire. Pendant deux, trois, quatre heures de suite, son imagination vagabonde imaginant toutes les prouesses qu’il ferait pour la conquérir, si vaniteux de ce projet qu’il ne voyait pas à quel point il lui était impossible de le réaliser car la dame était d’un milieu bien plus élevé que lui.

A d’autres moments, après avoir lu la vie des saints, il reste longtemps à réfléchir : « Saint Dominique a fait ceci : eh bien, moi il faut que je le fasse! Saint François a fait cela, eh bien, moi il faut que je le fasse ! »

Ainsi se trouvait-il dans une succession de pensées : tantôt, comment conquérir cette femme, tantôt comment imiter les saints. De toutes façons, il s’agit toujours pour lui de faire des exploits que ce soit pour sa dame ou pour Dieu et cela reste au niveau de l’imagination puisqu’en réalité il est sur son lit et bien incapable de réaliser quoi que ce soit !

Charles Hénin - Autobiographie d'Ignace

« Il y avait pourtant cette différence : quand il pensait à ce qui était du monde, il s’y complaisait beaucoup, mais quand ensuite, fatigué, il cessait d’y penser, il se trouvait sec et mécontent. Mais, quand il pensait aller nu-pieds à Jérusalem, à ne manger que des herbes, à faire toutes les autres austérités comme les saints, non seulement il était consolé quand il se trouvait dans de telles pensées, mais même après les avoir quittées, il restait content et allègre. »

Il vient de découvrir une chose : il se passe quelque chose en lui. C’est une première étape, mais qui ne suffit pas. Sur le moment, il n’y prête pas attention. Tous, nous expérimentons que nous passons par des moments affectifs différents : joie/tristesse, tonus/découragement. Mais la plupart du temps ces alternances ne nous servent à rien parce que nous n’y prêtons pas attention.

L’originalité de l’expérience d’Ignace va être de commencer à s’intéresser à ces alternances en essayant de comprendre ce qui modifie ses états d’âme, d’établir une relation entre l’état où il se trouve et les pensées qui l’ont précédé.

« Il se mit alors à s’étonner de cette diversité et à faire réflexion sur elle, saisissant par expérience qu’après certaines pensées il restait triste et qu’après d’autres il restait joyeux, et peu à peu, il en vint à connaître la diversité des esprits qui s’agitaient en lui, l’un du démon, l’autre de Dieu. » (Récit n°8)

Ignace remarque l’existence de pensées qui lui apportent la tristesse et d’autres pensées qui lui apportent la joie. C’est le début d’une expérience spirituelle qui va changer complètement sa vie : le discernement des esprits qui l’agitent. Expérience qu’il va poursuivre toute sa vie et transmettre à d’autres.

Ignace deviendra le fondateur des Jésuites.