« En création » depuis 81 ans, je n’en finis pas d’évoluer. Je repense à ce chant que nous chantions entre novices à La Xavière : Pour faire un homme, mon Dieu que c’est long et nous d’ajouter : Pour faire une xavière, mon Dieu que c’est long !
Je suis donc en chemin à cette étape de ma vie appelée « la vieillesse ». Je l’ai abordée à la cinquantaine bien dépassée, au nord de la Côte d’Ivoire, en pays sénoufo que je connaissais pour y avoir déjà vécu 10 belles années auprès de villageois. Je revenais là une dizaine d’années plus tard toujours dans le cadre d’une mission au service de la promotion humaine, dans ces mêmes villages. Grande surprise pour ceux que j’avais bien connus de me retrouver là à nouveau mais encore plus étonnant pour eux de voir que je travaillais toujours : « N’étais-je pas arrivée au moment de faire ma vieillesse ? ».
Cette expression qui me parlait, je l’ai entendue pendant les 7 années qui ont suivi. Au moment de mon retour en France, elle a été confirmée par maintes bénédictions et soulagement de la part de mes amis : « Enfin tu vas pouvoir te reposer ». Aussi dans ma tête, je pensais bien ainsi. Mais voilà, de retour dans mon pays d’origine à 64 ans, je ne fus pas reçue dans ma communauté avec cette mentalité. Je n’étais pas « âgée », me disait-on, en me reprenant chaque fois que j’utilisais les mots ‘vieux’, ‘vieille’ : c’étaient des mots, paraît-il, péjoratifs. Peu à peu je percevais qu’ici la vieillesse était ‘chose triste’, que les personnes chargées d’années étaient la plupart du temps peu considérées et qu’elles présentaient aux classes d’âge arrivées sur terre après elles une étape redoutée dont on n’avait pas envie de parler.
Une année m’a été nécessaire pour changer ma manière de penser et me permettre d’entendre une demande qui m’a été faite alors de prendre la responsabilité d’un service diocésain à Toulouse, de l’accueillir comme une possibilité réelle. Je n’ai répondu positivement qu’après un long discernement.
Aujourd’hui, j’ai franchi l’étape où je ne suis plus à même d’assurer une responsabilité. Mes facultés d’organisation, de coordination, de gestion ont décliné. J’apprends à vieillir chaque jour : c’est un art qui demande une adaptation continuelle. Je constate que la vieillesse arrive à la fin d’une vie et qu’elle ne peut être traversée qu’après avoir franchi les étapes précédentes qui font mûrir peu à peu. Alors se découvrent d’autres réalités. Le temps est donné pour approfondir le sens de la vie, d’en découvrir d’autres secrets qui se font alors jour, tels que la joie d’exister, de s’émerveiller, de goûter autrement les êtres et les choses qui nous entourent, d’entendre de manière plus intérieure, de rejoindre tous ceux et celles que j’ai rencontrés, connus et qui me reviennent si bien en mémoire, de me laisser peu à peu dépouiller de ce qui n’est pas l’essentiel.
Actuellement je me trouve dans la communauté de Vanves, envoyée par La Xavière pour faire partie des deux aînées de cette communauté qui accueille le noviciat, en participant au quotidien de la maison. Me voilà «boostée» par la jeunesse. Je découvre un noviciat bien différent de celui que j’ai connu il y a 50 ans. « Adaptons-nous perpétuellement » disait Claire Monestès, notre fondatrice, et j’en prends la mesure. Je goûte avec bonheur des changements qui parfois m’étonnent – ce qui donne l’occasion de discuter. De cette manière aussi, me sont révélés des aspects de notre vie religieuse qui sont remis en valeur et d’autres que j’avais intégrés sans m’en rendre compte et qui deviennent appels au partage.
Par ailleurs, dans cette nouvelle insertion à Vanves, je découvre la réalité d’une maison de retraite que je visite régulièrement par le biais de l’équipe d’aumônerie. Démunie, j’écoute les résidents en grande souffrance pour la plupart, n’ayant pas choisi ce lieu de vie où ils se sentent oubliés du monde. Je continue de réaliser à quel point chacun(e) de nous a besoin d’être reconnu(e) pour exister.
Depuis novembre, je participe avec joie à ma manière à l’accueil des étrangers dans notre pays : j’accueille en communauté 2 jeunes femmes, l’une bulgare, l’autre sri-lankaise ; je leur partage ma langue avec toutes ses particularités, bien aidée en cela par ma formation d’antan de jardinières d’enfants. Par là aussi, un champ nouveau m’est ouvert dans la prière, celui de l’intercession de l’Eglise pour les migrants. Cette mission d’intercéder pour le monde se conjugue si bien avec le temps qu’offre mon âge.
Je suis en chemin, un chemin qui descend, qui s’enfonce dans les profondeurs, quittant de plus en plus les découvertes en surface : toujours à la recherche de cet Amour qui s’est révélé à moi et a bouleversé ma vie la transformant en quête incessante, me dépouillant, m’humanisant, j’ose dire me divinisant.
Originaire en partie du Médoc, je sais combien le vin s’améliore en vieillissant !
Denise