Dans cet article paru dans notre revue Dialogue qui a pour thème « Davantage », Géraldine relit son expérience du travail et du repos. Elle y découvre que « moins est plus »… Qu’est-ce à dire ?
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A la Pourraque, il m’arrive de marcher et d’humer l’air de la garrigue environnante. C’est pour moi une expérience rare et cependant bonne. Il est inouï de sentir à ce moment-là combien la nature est bienfaisante, apaisante.
Avant d’habiter dans ce lieu situé au pied du Luberon, je venais souvent vivre un temps de « désert ». J’arrivais d’une journée de travail passée entre le bruit des machines, les kilomètres de route avalés et les multiples soucis liés au suivi de chantiers qui me laissaient peu de respiration. Je coupais alors le moteur de la voiture et je goûtais le silence… Ensuite, à distance de mes lieux habituels, libérée pour un temps de mes soucis, je vivais cette journée entre repos, prière et relecture de vie.
Cela fait presque 10 ans que je fais partie de la communauté de la Pourraque. Et je profite plutôt moins de toute cette nature environnante. Un paradoxe ? Peut-être. En y réfléchissant, je constate que je suis entraînée quotidiennement par tout-ce-qui-est-à-faire : le travail à l’intérieur de cette maison, le travail de théologie et tout ce qu’il s’agit d’écrire, les engagements divers… Et j’ai du mal à décider de me détendre, à « lâcher prise » pour prendre une expression bien en vogue, avant que le travail ne soit fini, ce qui est rarement le cas.
Que tirer de tout cela comme réflexion ? Ce que cela m’inspire, c’est d’abord qu’il y a dans le travail quelque chose de dynamisant : une participation à la vie du monde, une joie de pouvoir donner sa mesure, la satisfaction d’un projet mené à terme. Et il n’est pas si facile d’y renoncer pour se reposer. Cela suppose de se désinvestir de son travail, de le lâcher. Sans doute nous tient-il autant que nous le tenons ! Nous aimons vivre un peu sous pression.
Pourtant, il y aurait une sagesse à trouver un juste milieu pour ne pas tomber dans l’excès qui fait que l’on ne sait plus s’arrêter pour goûter autre chose. Car il y a autre chose à goûter. La garrigue et ses odeurs de thym m’en sont témoins. Comme le dit le pape François dans l’encyclique Laudato Si’ : « Le monde est plus qu’un problème à résoudre, il est un mystère joyeux que nous contemplons dans la joie et dans la louange. » (LS, n° 12) Je ne me lasse pas de revenir à cette parole… Elle m’invite quotidiennement à une conversion.
Il ne s’agit pas pour moi de rêver d’une société sans travail – cette perspective ne me fait pas rêver. Mais il s’agit d’apprendre à s’arrêter. Quand je regarde la façon dont je fonctionne, j’y reconnais un mouvement premier qui est celui de partir à l’assaut de chacune de mes journées. « L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt » m’a-t-on appris. Et je ne renie pas cet héritage ! Mais j’ai dû apprendre aussi, par la force des événements, qu’il y a une autre manière de se situer devant la vie : celle qui consiste à l’accueillir, à la recevoir, à ne pas craindre. « Le pain lui sera donné, les eaux lui seront fidèles » (Is 33, 16). Cela peut donner le vertige. C’est peut-être le signe qu’il y a un enjeu.
Le pape François, dans Laudato Si’, nous invite à méditer sur cette conviction que « moins est plus ». Il fait l’éloge de la sobriété. Dans la sobriété, il y a un renoncement à vivre du « toujours plus » pour s’ouvrir à autre chose, à un autre regard sur la vie, à une autre manière même de jouir de la vie (cf.LS, n° 222, 223). Cela m’évoque la question du sabbat dans la Bible. Le sabbat est plus qu’une invitation, c’est un commandement. L’enjeu est dit : il s’agit de vie ou de mort (Dt 30, 16).
Le sabbat est un temps pour se reposer, pour louer Dieu, pour faire aussi mémoire de la libération d’Égypte… Et tout le monde en profite : le maître comme le serviteur, et même les bêtes (Ex 20, 10). Dans le sabbat, il y a un enjeu spirituel et un enjeu social. L’interdépendance croissante au sein de nos sociétés devrait nous faire réfléchir. C’est une chance mais aussi une responsabilité. Si nous pouvons consentir à la pression de notre monde interconnecté parce qu’il nous stimule, nous pouvons aussi la subir et l’imposer aux autres : les mails à toute heure et en tous lieux en sont un exemple tout simple. Le burn-out ou le dérèglement climatique en sont un effet plus grave.
La pression à laquelle nous nous soumettons parfois aveuglement est une pauvreté quand elle nous visse à la tâche qui est à faire. Il y a un monde au-delà de mon écran d’ordinateur. Et cette pression ne me concerne jamais moi seule : elle se répercute sur d’autres. Peut-être qu’une question dans nos sociétés est celle du sabbat. Comment réapprendre, ensemble, la valeur du sabbat pour vivre mieux ?
Géraldine Lasserre
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