Passionnée de cinéma, Marie Guillet nous propose son regard sur un film. Ce mois-ci : Shower, de Zhang Yang.

« Nous pouvons apercevoir à travers ce film une image de nos vies. Quel que soit ce qui est démoli, quel que soit ce qui s’effondre, la vie continue de se donner et chacun porte en soi la capacité de la choisir encore et toujours. »

En 2000 Yang Zhang cinéaste chinois réalise son deuxième long métrage : SHOWER. Ce film est sorti en salle en novembre 2000.

Le scénario

Aidé de son fils cadet, Er Ming, un jeune homme simple d’esprit mais joyeux et dévoué, aide le vieux maître Liu qui tient le «Qingshui», l’un des derniers établissements de bains traditionnels de Pékin, un endroit où l’on peut se reposer, mais aussi jouer aux cartes, parler ou boire du thé en compagnie de ses amis. Fatigué, Liu ne comprend pas pourquoi son fils aîné revient soudain les visiter. Il aurait souhaité que son fils aîné, Da Ming, reprenne l’affaire familiale au lieu de partir au loin gagner de l’argent. Il semble l’avoir rayé de sa vie ! Ce séjour va être plein de rebondissements et d’enseignements pour chacun des personnages.

Shower contient une part biographique. Zhang Yang a grandi dans un hutong, une habitation traditionnelle de Pékin. Son père l’emmenait souvent aux bains. Aujourd’hui, à la place de la maison familiale se trouve un immeuble de six étages et les bains ont eux aussi disparu. Il a toujours eu envie de faire un film sur ces bains publics dont les derniers ont été détruits peu de temps après le tournage du film.

Le film

Ce film peut être regardé sous plusieurs aspects. J’en choisis quelques-uns sans être exhaustive.

Un monde ancien s’en va alors qu’un autre monde est déjà là.

Le monde ancien qui s’en va c’est celui de la tradition avec tout ce qu’elle porte de dimension sociale, de sens et d’humanité. Le contraste est saisissant entre l’homme seul qui en ouverture du film prend une douche complètement automatisée et les bains traditionnels où se vit toute une dimension sociale, humaine de rencontre, de relations avec tout ce qu’elle comporte de difficultés, de rivalités mais aussi d’amitié, de solidarité. Entre les deux c’est comme un entrechoc : l’un chasse l’autre ! Au début du film, un jeune homme parle avec Maître Liu de ses idées modernes, géniales bien sûr, qui pourraient lui rapporter des millions si seulement il pouvait les mettre en pratique. Il dit : « Notre vie est si rapide ! Qui a encore le temps de venir dans ces bains ? Ce qui est rapide, c’est ça qui rapporte ; il fera fortune celui qui appliquera mes idées ! » Maître Liu lui répond : Arrête de te vanter, c’est du vent tout ça ! Si tu es si fort, répare mon enseigne au néon ! Ça fait trois mois, tu vas me faire encore attendre longtemps ? »
Ce même jeune garçon revient plusieurs fois avec toujours de grands projets mais pas d’argent pour les réaliser, ou encore, endetté sans pouvoir rembourser ses dettes. Cela vient éclairer le contraste entre ce monde qui n’a pas bougé pendant des années, peut-être des siècles et un autre monde rapide qui submerge tout inexorablement. Le quartier sera détruit, les bains disparaîtront. Que restera-t-il ? Le film risque une réponse.

L’eau, présente comme un personnage.

L’eau des bains qui apaise, qui peut aussi guérir, détendre, permettre des rencontres. L’eau qui donnera au jeune chanteur le courage de surmonter son angoisse au moment de chanter ! Tout à la fin c’est encore dans l’eau que le vieux maître offrira à Mr Zang une guérison possible dans la relation blessée avec sa femme. L’eau source de vie, qui régénère et qui guérit !

L’eau a aussi un prix pour lequel il vaut la peine de sacrifier ce que l’on a pour vivre, afin de l’acquérir.
Le film nous invite à deux flash-back dans la vie des parents du vieux maître Liu. Le premier nous ramène dans des temps où l’eau pouvait venir à manquer et on verra tout un peuple venir sur la montagne se mettre à genoux et prier le ciel pendant qu’un père de famille cherchera comment répondre aux exigences de la tradition. Lorsqu’une jeune fille allait se marier, la veille du mariage, elle devait prendre un bain rituel de purification. Durant la sécheresse l’eau manque. Le père et son fils vont aller échanger tout le grain qui leur reste pour de l’eau. Images à la fois d’une grande beauté, d’une profonde gravité, et surtout d’une grande pudeur qui expriment de la gratitude. Une alliance nouvelle va pouvoir se sceller. Que reste-t-il aujourd’hui de telles pratiques?
Le deuxième flash-back nous ramène encore au passé : une grand-mère et sa petite fille sont en marche vers un lac sacré qui régénère ceux qui vont s’y plonger. La marche est longue pour y parvenir. Les gens alors considéraient son eau avec un grand respect ; ils appelaient ce lac le lac sacré, non seulement son eau lavait le corps mais elle avait la propriété de laver l’âme et guérissait les malades. C’est pourquoi tous étaient hantés par l’idée de s’y baigner. Le lac était tellement loin que la fillette peinait à avancer. Elle demande à sa grand-mère : « Quand arriverons-nous ? » – « Bientôt. » La fillette reprend : « Il fait si froid, lorsque nous arriverons, pourrons-nous nous baigner ? » La grand-mère reprend : « Ce lac a son caractère propre, si nous n’arrivons pas cette année, il faudra attendre 12 ans la prochaine occasion, je crains de ne pouvoir vivre jusque-là. Il faut donc que nous atteignions le lac sacré avant la fin de l’année. Qu’il est parfois difficile de prendre un bain !! »

La relation du père avec ses deux fils, et en particulier avec son fils aîné, et la relation fraternelle entre les deux frères.

Alors que la relation à son plus jeune fils est faite de complicité joyeuse, la relation à son fils aîné est lourde d’incompréhension, de ressentiment, de rejet, de violence contenue, mais aussi de beaucoup de souffrance. La tension va monter jusqu’au moment où elle va éclater lorsque Er Ming a disparu. Sous le coup de la colère, de l’angoisse, le père aura des paroles blessantes pour son fils aîné. Paroles qui diront sa souffrance devant ce fils qui est parti et qui a fait un autre choix que le sien.
Il le considère comme perdu ! Le père, en refusant de reconnaître son fils, s’interpose entre les deux frères rendant la fraternité difficile. Da Ming reçoit ces paroles sans rien répondre. Seul son visage est empreint d’une grande tristesse. Il n’a pas sa place dans la vie de son père. Pourtant il reste là.
Il faudra attendre la nuit où l’orage éclate pour que quelque chose commence à bouger entre eux. Da Ming vient aider son père à tendre la bâche sous la pluie et là, quelque chose va s’apaiser, s’ouvrir.
A la fin du film le quartier sera détruit, il faudra quitter les bains et partir ailleurs. La mort du père sera aussi la mort des bains.
Que va-t-il rester ?
Deux inscriptions sont décrochées avant la démolition, comme des messages à garder !
« L’abondance de bonté conduit à l’harmonie. »
« La suprême bonté est pareille à l’eau ».
Il restera surtout les multiples petits signes de passage que chacun a franchis à sa mesure. Passage pour les deux frères qui vont se rapprocher pour ne plus se quitter. D’une situation de non-dit – il n’a jamais parlé à sa femme de l’existence de son jeune frère – à une décision : quoi qu’il arrive, dit-il à son frère, nous serons toujours ensemble.
A la fin lors de la fête de quartier célébrant la future destruction, lorsque le jeune garçon chanteur se retrouve sur scène pris dans sa peur panique et incapable de sortir un son, c’est Er Ming qui va chercher un tuyau et l’arrose, alors son ami pourra chanter à plein poumon et il sera acclamé !

Que de choses se passent dans ce milieu vieillissant, vulnérable, prêt à disparaître ! La transformation de Da Ming, mais aussi des autres personnages, les passages qu’ils vivent sont autant de petites lueurs d’espérance, comme en attente d’une résurrection possible de ce qui semblait bien abîmé et voué à disparaître. Une nouvelle étape s’ouvre et commence : les amis se réconcilient, les querelles jalouses du couple sont assumées et dépassées, guéries. Da Ming décide de rester pour toujours avec son frère dont il assume la responsabilité.
A travers la fragilité qui habite chacun, à travers des vies qui sont et seront toujours mêlées, quelque chose de beau, de solide, de bon peut se dégager peu à peu. La démolition du quartier est à l’image de cette fragilité. Ce qui s’effondre n’est pas la fin. Ce qu’il advient de chacun est traversé d’une petite espérance, d’un élan d’amour qui sera plus fort que ce qui se détruit.

Nous pouvons apercevoir à travers ce film une image de nos vies. Quel que soit ce qui est démoli, quel que soit ce qui s’effondre, la vie continue de se donner et chacun porte en soi la capacité de la choisir encore et toujours.
Ce film tout simple est porteur d’un souffle de vie et il allume des petites lueurs d’espérance qu’il est bon de contempler comme une invitation à changer de regard sur le quotidien quel qu’il soit.