Dans ce texte de 1972, Anne-Marie Revertégat, une des toutes premières xavières, présente ce qu’elle a perçu de Claire Monestès (1880-1939), notre fondatrice.

Ce qui m’a saisie quand j’ai rencontré Mère Claire, c’est le dynamisme qui émanait d’elle.
« Claire Monestès, une vivante », écrivait Louis Mendigal.
Sa pensée vigoureuse, son style sobre, son écriture solide, surprenaient au premier abord. Sa personne d’apparence fragile contrastait avec la fermeté de son vouloir, la perspicacité de son intelligence était quasi prophétique, un je ne sais quoi de mystère et de lumière perçait dans son regard.

Quel était donc le secret de Mère Claire ? Était-ce de vivre en plein élan une vie débordante qu’elle entendait mener « à fond de train » ? Certes, ses dons innés facilitaient ce qu’elle entreprenait, sa vie fut riche de créativités, mais toujours au prix d’une longue écoute, d’une lente transformation, d’un cheminement difficile. Son dynamisme personnel animait ceux qui l’entouraient, mais n’apaisait pas sa faim de recherches. Je ne pense pas que son activité des années entre 1920 et 1935 ait été le fruit de sa recherche ultime ; pas plus que ses phrases percutantes n’aient été le fait d’un style étudié :

« Soyez ferventes du monde présent et non de celui d’hier. »
« Sachez vous rendre intelligentes et intelligibles. »
« Regardez si votre souci des convenances va du côté de Dieu ou du côté des hommes… Voyez si, sous le couvert d’une activité apostolique, vous n’êtes pas tentée de lâcher votre vie religieuse. »

Ce style direct était jaillissement, recherche de vérité.
De même, ses amitiés, ses intuitions, son ouverture aux autres qui faisaient d’elle un être de relations et qui lui valurent tant de sympathie, n’étaient point retour sur elle-même. Et si, profondément sensible, elle vibrait à toute forme de beauté, elle n’en faisait pas pour autant le centre de son regard.

Au-delà de ses aspirations les plus intimes, il y avait quelqu’un, quelqu’un de vivant aujourd’hui, au milieu des hommes, et qui l’avait saisie : elle avait rencontré le Christ… Ne devrait-elle pas chercher à vivre en profondeur la vie du Christ au milieu du monde, parmi les hommes ses frères, « être christophore par tous les pores de son êtres », comme elle l’écrira plus tard… Ne devrait-elle pas se laisser assumer entièrement par le Mystère de Mort et de Résurrection du Christ ? Engagée au cœur de l’Eglise, ne devrait-elle pas devenir « signe », signe humble sans doute, mais signe de lumière pour révéler le Christ vivant aujourd’hui, venu pour nous réconcilier tous, « lui qui a fait la paix par le sang de sa croix » ?
Dès lors, l’orientation de Claire se transfigure : communier au Mystère de Rédemption sera la recherche de toute sa vie.

A la suite du Christ, sur ses traces, elle veut vivre dans le monde d’aujourd’hui toutes les valeurs humaines, éprouver dans sa vie quotidienne les réalités d’incarnation. Finis les structures sécuritaires, les systèmes qui deviennent des cloisonnements entre Dieu et les hommes et entre les hommes. il lui faut être réellement présente au monde avec le Christ vivant dans ce monde.

Dans cette perspective, je voudrais souligner en passant l’une de ces valeurs particulièrement vécues par Claire : l’accueil. L’accueil de l’autre qui a besoin d’être reconnu, accepté tout entier, tel qu’il est. L’accueil libérateur à tous les niveaux, puisqu’il exclut les formes les plus nuancées du racisme, – pas seulement le racisme avec l’étranger  – mais aussi avec les frères les plus proches. Il y a des ségrégations discrètes dans la vie de tous les jours qui n’en sont pas moins douloureuses. Claire, avec un mot-clé, nous donne la contrepartie : « tout accueillir pour tout épanouir ».
Ce leit-motiv reviendra souvent sous sa plume. S’accueillir mutuellement les uns les autres, s’accueillir différents, au-delà des préjugés, ne pas ficher quelqu’un sur son passé, ne pas croire à « un vice invétéré », croire à la capacité à la conversion, à la flamme qui brûle encore, aimer beaucoup et faire confiance, un tel sens de l’accueil a une résonance tout évangélique. Il nous demande de passer du « faire » à « l’être », d’agir moins, pour vivre l’autre davantage, en toute gratuité. Il fait de nous d’authentiques membres de l’Eglise en nous faisant prendre conscience de tout ce qui nous sépare et en nous invitant à traduire en actes cette communion fraternelle dont l’Eucharistie est le gage mystérieux.

En célébrant ensemble l’Eucharistie, nous sommes plongés au cœur du mystère « d’aimer jusqu’à donner sa vie ». Croire à la présence du Christ vivant parmi nous, c’est croire à l’amour du Christ se donnant dans l’Eucharistie, sacrement de l’Unité, capable de rassembler tous les hommes en Lui, en un seul Corps.
Ce Mystère, Mère Claire l’a vécu dans les profondeurs d’elle-même, dans le silence et la contemplation, dans l’action et dans l’adoration, œuvrant de tout son être dans la souffrance et dans l’espérance; sûre qu’un jour viendra où « Dieu sera tout en tous ».

Anne-Marie Revertégat, 14 février 1972