Des révélations récentes sur des abus commis dans le cadre d’accompagnements spirituels nous ont tous stupéfaits. Quelles précautions prendre pour éviter ces dérives ?

Par Marie-Christine Sénequier, supérieure générale de la congrégation de 1993 à 2005 et accompagnatrice spirituelle.

Qu’est-ce que l’accompagnement spirituel ?

Le Petit Robert dit : « accompagner, c’est se joindre à quelqu’un pour aller où il va, en même temps que lui ». C’’est donc faire route avec quelqu’un, se mettre à son pas, pour lui permettre plus sûrement d’atteindre son but. Tel est le principe de base : l’action se règle à partir de l’autre, de ce qu’il est, de là où il en est.
On parle d’accompagnement social, d’accompagnement pédagogique, d’accompagnement psychologique, etc. L’accompagnement spirituel introduit une dimension spirituelle à ce compagnonnage.
L’accompagnement spirituel aide à reconnaître l’Esprit de Dieu à l’œuvre dans la réalité de la vie de tous les jours, à approfondir sa relation à Dieu, à connaitre le Christ pour modeler sa vie sur sa manière d’être en relation avec son Père et avec les hommes.

Dans l’histoire de l’Eglise nous sommes passés de la direction spirituelle à l’accompagnement spirituel.
Au fil du temps, des évolutions ont marqué la société et l’Eglise : évolution de mentalité, évolutions culturelles, l’apport des sciences humaines…. On assiste à un déplacement de mentalité qui s’accompagne d’un déplacement de vocabulaire. On ne parle plus guère aujourd’hui de père spirituel ou de directeur de conscience. Le terme d’accompagnateur s’est répandu dans les années 80. Ce n’est pas simplement une question de mot. Le terme de directeur de conscience impliquait une direction en matière de morale et de religion ; celui de conseiller ou de père spirituel introduisait une sorte de directivité, à travers les conseils et recommandations. Le terme accompagnateur souligne davantage le côté fraternel de ce compagnonnage. Mais cela n’exclut pas la dimension de transmission de repères et de soutien qui fait partie de tout accompagnement spirituel.

Le Pape François souligne que l’accompagnement spirituel est un art difficile, c’est une aide qui se veut discrète, sans emprise sur l’autre, respectueuse. Il parle « d’ôter ses sandales devant la terre sacrée de l’autre ».

Icône du Christ et de l’abbé Mena (https://www.la-croix.com/Journal/Le-Christ-ami-2018-05-05-1100936756)
Les dérives possibles 

Le cas le plus banal dont personne n’est à l’abri c’est de prendre les décisions à la place de la personne que l’on accompagne. Quand quelqu’un demande un conseil ou de l’aide pour prendre une décision, la tentation est grande, de répondre à la demande, de trouver une solution, sans donner à l’autre les moyens de prendre la décision lui-même. Il n’y a pas vraiment de dérive mais on n’aide pas l’autre à s’engager dans la décision, à prendre ses responsabilités.

Il faut dire que la façon d’accompagner spirituellement dépend fortement de l’idée que l’accompagnateur a de Dieu et de sa volonté sur chacun. S’il pense que Dieu nous accompagne et que nous construisons notre vie avec lui alors il va aider son accompagné à discerner comment tracer sa route avec Dieu et faire ses choix en toute liberté. S’il pense que Dieu a un projet fixé à l’avance pour chacun, une volonté particulière bien définie, il va se comporter avec ses « accompagnés » comme le Dieu qu’il imagine c’est-à-dire qu’il va leur dire « voilà ce que vous devez faire ».

Quand en arrive-t-on à l’abus, abus de pouvoir, abus de conscience, abus spirituel, dans le cadre de l’accompagnement ?
On parle d’abus dès qu’il y a ingérence ou entrée de force dans la conscience de quelqu’un ou dans sa relation la plus intime avec Dieu.
Cela se produit quand il y a confusion des rôles, par exemple quand un accompagnateur prend autorité sur la vie intime de la personne accompagnée.
Dans l’abus il y a une prise de pouvoir sur la conscience d’un autre. Or personne n’a autorité sur la conscience d’une autre.

Il y a des degrés dans cette prise de pouvoir. D’ailleurs dès qu’on est dans cette dérive on ne peut plus parler d’accompagnement ; on est dans la direction spirituelle.

Premier degré dans la prise de pouvoir : le directeur spirituel se prend pour un prophète, parle au nom de Dieu, se dit inspiré par Dieu. Cela est particulièrement dangereux quand un jeune s’interroge sur son avenir, sur sa vocation. Dans ce moment de grande vulnérabilité, le jeune aimerait qu’une parole d’autorité tranche dans sa recherche. Certaines communautés profitent (consciemment ou non) de cette vulnérabilité pour recruter des membres. Elles profitent de la générosité et des aspirations des personnes, elles usent d’une pression psychologique, de séduction, pour influencer la réponse de la personne et ce faisant elles parlent à place de Dieu.

Deuxième degré : le directeur exige une ouverture totale, une obligation de transparence. Là on entre vraiment dans l’abus de pouvoir ou de conscience. L’intimité de la personne est forcée et cela est ressenti comme une violence. Il n’y a plus de « jardin secret » dans la relation de la personne avec Dieu, tout est sous le regard d’un autre.
Cela s’accompagne en général d’une exigence de soumission totale, une obéissance totale à ses directives. Le directeur considère que sa parole est parole de Dieu, donc lui obéir, c’est obéir à Dieu. Du côté de la personne dirigée il n’y a plus besoin de discernement puisqu’obéir c’est faire la volonté de Dieu. Il y a un abandon du jugement propre, une confiance aveugle à l’autorité. Et dans ce contexte quand quelqu’un ose exprimer des doutes ou hésite à obéir on lui dit que c’est une tentation, qu’il fait l’œuvre du tentateur.
La conscience est peu à peu anesthésiée. L’exigence d’obéissance totale est une négation de la liberté de conscience.
On peut parler d’autorité manipulatrice qui profite de l’immaturité affective de l’autre, de sa générosité confiante.

Le dernier degré conduit à la dérive finale : l’emprise. Le directeur spirituel se comporte comme un gourou. On entre là dans le domaine pathologique voire psychiatrique, qui n’est pas mon propos…L’emprise est une prise de pouvoir sur la personne au niveau affectif, psychologique, spirituel et parfois physique.
Le processus commence par la séduction, la proposition faite rejoint le désir spirituel et les aspirations de la personne. S’établit ensuite un lien de dépendance affective. Les personnes qui ont été sous emprise décrivent avoir vécu des alternances de valorisation (au point de se croire préférée du gourou) et d’humiliations petites ou grandes. La succession d’injonctions contradictoires : une chose affirmée et son contraire peu après entraîne la personne dans une agitation mentale qui la rend incapable de discerner. On peut parler d’aliénation mentale : le discernement est altéré, la conscience endormie.
La dépendance au gourou, l’absence de liberté entraînent une destruction de l’identité, la personne n’est plus capable de faire confiance à ses émotions ; sa pensée et son intelligence sont altérées.

Quelles précautions prendre ?

• Pour l’accompagnateur spirituel :

Vigilance envers soi même
– Être capable de relire sa pratique pour vérifier que la personne grandit en liberté, qu’elle aime Dieu plus librement, qu’elle apprend à discerner comment l’Esprit s’adresse à elle.
– Veiller à la discrétion sur ce qui a été confié.
– Se faire superviser quand un accompagnement est difficile.
– Arrêter un accompagnement quand la personne semble trop dépendante de notre propre parole

Veiller à la liberté des personnes
– Chacun est libre de choisir la personne qui l’accompagne et donc de la quitter si cela ne lui convient pas ;
– Chacun est libre de dire ce qu’il veut dire ou ne pas dire, donc pas d’ingérence, de questions de curiosité, ne pas chercher à induire les confidences.
– L’obéissance n’intervient pas dans l’accompagnement spirituel.
– Délicatesse, sagesse et prudence
– L’accompagnateur ne sait pas d’avance le chemin où il va aller avec celui qu’il accompagne.
– Savoir écouter, respecter ce que nous pressentons comme l’œuvre de Dieu en chacun, vivre humblement ce service.

• Du côté des personnes accompagnées
Connaître la liberté que l’Eglise assure dans la pratique de la confession et de l’accompagnement. Par exemple, quelques éléments importants :
– Être libre de choisir son accompagnateur (ou son confesseur), libre dans le contenu de ce que l’on dit, libre de l’étendue de l’ouverture de soi dans ce qui est confié.
– Repérer ce qui est prise de pouvoir sur sa conscience, la conduite de sa vie pour ne pas s’y livrer. Être attentif à ce qui pourrait être une prise de pouvoir ou contrôle à partir de ce qui a été confié.
– Ne pas s’engager dans une relation trop affective avec la personne qui accompagne pour garder sa liberté intérieure. Ne pas craindre de déplaire ou de décevoir par ce qui est confié, ne pas rentrer dans l’attente de l’autre ni chercher à lui faire plaisir en allant dans le sens de ce qui est demandé.
– S’assurer que la personne qui accompagne est discrète et prudente.

Quelques signes qu’on glisse vers une emprise (ou qu’on y est)
– Dépendance affective.
– Absence de liberté de parole, être contraint à tout dire, à vivre la transparence.
– Absence de liberté de conscience, suivre aveuglément la parole de l’autre.
– Sentiment d’être contraint à faire des choses en désaccord avec ses aspirations profondes.

Cet article reprend des extraits d’une conférence donnée à Marseille en novembre 2019 lors d’une table ronde sur les abus sexuels dans l’Eglise. Toutes les vidéos de cette table ronde sont disponibles sur le site de l’Institut Catholique de le Méditerranée.