Est-ce la « volonté de Dieu » lorsqu’un événement tragique advient ?… Bénédicte réagit à cette parole trop souvent entendue.
Laurence Adonis-Koffi

Samedi 23 mai à l’aube, Laurence, son mari Guillain et leur fils cadet Emmanuel ont été mortellement atteints par une voiture de jeunes revenant d’une nuit de fête.
Pr Laurence Adonis-Koffi était professeur de médecine. Elle avait monté l’unité de néphro-pédiatrie au CHU de Yopougon à Abidjan. Clinicienne hors pair, elle était également investie dans des projets de recherches en Côte d’Ivoire et ailleurs. C’était une femme engagée, intègre, dynamique, au service des autres, très engagée dans la CVX (Communauté Vie Chrétienne).
Beaucoup de xavières l’ont connue et appréciée. Bénédicte, en communauté à Abidjan, nous partage quelque chose de sa foi et de son espérance, par-delà la douleur de sa disparition.

Depuis le décès tragique de notre amie Laurence, son mari et leur 3ème enfant, fauchés par la voiture de jeunes revenant d’une nuit de fête trop arrosée, alors qu’eux faisaient leur jogging, je lis ou entends des phrases évoquant « les voies de Dieu » qui ne me laissent pas tranquille : « Qui peut comprendre les voies de Dieu ? »… « Que la volonté du Seigneur soit faite »… Que dit-on de Dieu lorsqu’on prononce ces mots en pareilles circonstances ? Que Dieu a voulu leur mort à ce moment précis et de cette manière-là ? Que Dieu connait d’avance le jour de notre mort et que ce qui est arrivé était écrit… ?

Je ne crois pas en ce Dieu-là. Et je ne peux retenir mes lèvres pour exprimer ce qui m’habite. Comme une manière de « rendre compte de l’espérance qui est en moi » (cf. 1 P 3,15). D’abord, ce sont deux passages de l’Ecriture qui me viennent : « Je mets devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur : choisis donc la vie ». (Deutéronome 30) ; et « Je ne prends plaisir à la mort de personne, dit le Seigneur. » (Ezéchiel 18,32).

Non, ce ne sont pas « les voies de Dieu » que des jeunes s’alcoolisent jusqu’à perdre raison et finissent leur nuit de fête en meurtriers ; non, ce ne sont pas « les voies de Dieu » que trois innocents perdent la vie parce que d’autres jouent à une course poursuite en pleine ville un samedi au petit matin ; non, ce ne sont pas « les voies de Dieu » qu’une médecin brillante, généreuse, engagée dans la lutte contre les insuffisances rénales infantiles dans son pays et ailleurs, soit arrachée à la vie par l’inconscience de quelques jeunes ; non ce ne sont pas « les voies de Dieu » qu’un gamin de 15 ans quitte ce monde en même temps que ses deux parents, laissant un grand frère et une grande sœur orphelins à l’autre bout du monde…

Alors, où sont-elles « les voies de Dieu » en pareilles circonstances ? Où les chercher ? Où les trouver ? Ne sont-elles pas plutôt dans la reconnaissance que Laurence a remplie sa vie de don de soi, de générosité, d’engagement pour les autres, comme un appel à tirer profit de son témoignage, à poursuivre à notre manière son engagement et à ne pas perdre notre temps ? Ne sont-elles pas dans la fraternité, la solidarité et l’affection à s’exprimer les uns aux autres, à leur famille, à leurs deux enfants qui restent, à leurs amis, leurs proches ? Ne sont-elles pas dans le combat à mener contre tous les fléaux qui rongent nos sociétés comme l’alcool, la drogue, la corruption, etc. ? ne sont-elles pas là où quelqu’un choisit la vie, la vraie vie et s’y engage entièrement ?

Je crois au Dieu de la Vie. Oui, notre Dieu est le Dieu des vivants et des morts ; oui, notre Dieu nous crée pour la Vie ; oui, notre Dieu contemple avec nous leur vie accomplie et pleure avec nous leur départ si brutal, incompréhensible, révoltant, bouleversant… mais non, notre Dieu n’a pas voulu qu’il en soit ainsi et n’avait pas prévu ce départ si violent et si douloureux ; non, notre Dieu n’a pas voulu que nos trois amis se trouvent au mauvais moment au mauvais endroit en ce samedi matin à l’aube ; non, notre Dieu n’a pas voulu que passent par-là la voiture de jeunes éméchés pour leur ôter la vie…

Dieu souffre avec nous. Lorsque nous disons « que ta volonté soit faite », oui nous nous abandonnons à la volonté du Seigneur ; et cette volonté, c’est que nous vivions, que nous nous donnions, que nous soyons heureux, généreux, livrés pour nos frères et sœurs… Nous choisissons en prononçant ces mots de nous laisser convertir à ce don, au-delà de tous nos égoïsmes ; mais non, nous ne disons pas « amen » à la violence, à l’injustice, à l’inconscience et au drame ; non, nous n’admettons pas que des vies soient si violemment arrachées ; parce que le Seigneur Lui-même ne l’admet pas, parce que Lui-même souffre en pareilles circonstances ; Il souffre de voir ses enfants s’égarer jusqu’à perdre le contrôle de leur voiture ; Il souffre avec les orphelins, les familles et les amis anéantis par la souffrance ; Il souffre avec nous comme le Christ a souffert sa Passion, et Il ouvre pour nous un chemin d’espérance, d’engagement, de combat pour que ne soit pas vain l’événement qui nous bouleverse. Telle est mon espérance, telle est ma foi.

Sr Bénédicte Duriez, xavière, 25 mai 2020