Depuis plusieurs années, une crise violente bat son plein dans les régions anglophones du Nord-Ouest et Sud-Ouest du Cameroun.

Elle fait partie de ces conflits dont on parle peu, qui écrase pourtant les aspirations à la paix et à la sécurité alimentaire de millions de personnes. Dans ce contexte, la lettre ouverte du Père Ludovic Lado, jésuite camerounais, anthropologue, directeur du CEFOD à N’Djamena (Tchad) nous interpelle. Au-delà du contexte local dans lequel elle s’inscrit, elle nous invite aussi, où que nous soyons, à prendre notre part à la construction de la paix.

P. Ludovic Lado, sj

 « Je ne peux plus rester tranquille »

Alors que la crise anglophone sombre dans l’en-sauvagement, le dialogue, la justice, la réconciliation et la paix restent les mots-clés d’une solution durable. C’est ce que nous disons depuis le début de cette tragédie qui sombre chaque jour un peu plus dans l’horreur qui crucifie femmes et enfants sous nos yeux. Ma foi de chrétien, prêtre, prophète et roi m’interdit l’indifférence. Notre indifférence est devenue un péché collectif. Je ne peux plus rester tranquille. Mais que vais-je faire ?

L’Eglise catholique au Cameroun a-t-elle assez fait pour mettre la pression sur le gouvernement camerounais et les ambazoniens pour une solution négociée à cette crise ? Je ne le pense pas. Et quand je parle ici d’Eglise catholique, je ne pense pas seulement aux évêques et aux prêtres, mais aussi aux laïcs qui vont à la messe chaque dimanche. Qu’avons-nous fait pour le retour de la paix dans le Nord-ouest/Sud-Ouest ? Que faisons-nous pour le retour de la paix dans le Nord-ouest/Sud-Ouest ? Que ferons-nous pour le retour de la paix dans le Nord-ouest/Sud-Ouest ?

Le 22 mai 2018, les évêques nigérians organisaient une marche pacifique de protestation contre les tueries et prises d’otages dans ce pays. Le 1er mars 2020, la conférence des évêques du Nigeria était en première ligne d’une marche contre l’insécurité et les tueries qui continuent dans le pays. A chaque fois, le clergé était en première ligne, comme des bergers, suivis de laïcs. C’est ce qu’il nous faut au Cameroun aujourd’hui jusqu’à ce que le gouvernement et les ambazoniens se mettent à la table du dialogue au nom de la justice et de la paix, au nom de la dignité humaine. L’indifférence de l’Eglise catholique au Cameroun est un péché. « Heureux les artisans paix » (Mt 5, 9), « heureux les persécutés pour la justice » (Mt 5,10), c’est maintenant qu’il faut le vivre concrètement au Cameroun.

Si d’ici le mois d’octobre 2020, l’Eglise catholique, l’Etat Camerounais et les ambazoniens n’ont rien fait pour le dialogue, la justice, la réconciliation et la paix dans le Nord-Ouest/Sud-Ouest, je ferai ma part. Je n’ai rien à cacher. J’entamerai un pèlerinage pédestre qui m’amènera de Bamenda à Buea en passant par Yaoundé et Douala jusqu’à ce que les belligérants entendent raison et mettent fin à la souffrance humaine dans ces régions.

Mais je ne prendrai mon bâton de pèlerin que si l’Eglise comme communauté de prêtres, prophètes, et rois, disciples de Jésus Christ, le martyr par excellence, persistent dans l’indifférence après le mois de septembre. Je suis déjà préparé à mourir pour cette cause, s’il le faut. Mieux vaut mourir pour la cause de la justice pour tous que de mourir de Covid-19. Si je venais à croiser la mort lors de ce pèlerinage, ceci tiendrait alors lieu de mon testament. Sur ma tombe, il suffira d’inscrire : « Heureux les persécutés pour la justice » (Mt 5,10). L’indignation ne suffit plus. Je ne peux plus rester tranquille.

P. Ludovic Lado