En ce temps de Noël, nous vous proposons de découvrir l’Oratorio de Noël de Camille Saint-Saëns. Moins connu que celui de J.-S. Bach, il n’en est pas moins une magnifique page de musique.

Il commence en effet par le récit bien connu de la Nativité de l’évangile de Luc, mais au lieu, comme chez Bach, de suivre la narration évangélique avec l’adoration des bergers, la circoncision, la venue des mages et leur adoration, Saint-Saëns l’interrompt par de nombreux extraits de psaumes ou de textes prophétiques qui expriment la louange pour l’accomplissement et en même temps l’attente insatisfaite des croyants.

Nous vous proposons, en dessous de la vidéo présentant la version complète de la Deustche Radio Philarmonie (2008), dix extraits commentés (version complète sur youtube)

source des commentaires : Cyril Brun, chef d’orchestre (cyrano.net)

Ecouter la pièce complète

Introduction

Camille Saint-Saëns n’a que 23 ans quand il compose cet oratorio, en 1858. Homme religieux, organiste, les pièces spirituelles tiennent une grande place dans la vie et l’œuvre de ce Normand du XIXe siècle.
La forme appelée « oratorio » diffère de l’opéra en ce sens qu’il n’y a pas de représentation scénique et que la partie du récitatif est plus développée.
Les grands airs sont souvent plus sobres que les airs d’opéra. L’oratorio se rapproche de ce que l’on appelle la « cantate », mais il est plus organisé qu’elle et comporte une introduction musicale (le prélude). C’est un genre à part servant souvent les thèmes religieux, mais pas exclusivement.

Prélude instrumental

Camille Saint-Saëns compose cet oratorio pour Noël en précisant sur la partition du prélude : « dans le style de Bach ». Dans le style de Bach, cela signifie des formes musicales et rythmiques baroques, mais aussi toute une symbolique chiffrée à portée spirituelle. (exemple dans le Quare fremuerunt gentes ci-après)

Et Pastores erant – Gloria

Il y avait, dans cette même région, des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux. L’ange du Seigneur survint devant eux, et la gloire du Seigneur se mit à briller tout autour d’eux. Ils furent saisis d’une grande crainte. Mais l’ange leur dit : n’ayez pas peur, car je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple. Aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Et ceci sera pour vous un signe : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait : gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et, sur la terre, paix parmi les humains en qui il prend plaisir ! (Luc 2,8-14)

Le Gloria met en exergue la voix des anges qui résonne de toutes parts comme autant d’échos jaillissant de la nuit. Les éclats du gloria rythment tout autant le chant des anges que le mouvement des bergers rassemblant le troupeau, pour partir dans la paix qui suit, à la rencontre de cet événement si inattendu. La tonalité est LA Majeur, tonalité de la confiance en Dieu.

Expectans expectavi Dominum

J’espère le Seigneur, j’espère vraiment ; j’attends sa parole. (Psaume 130,5)

Domine, ego credidi

Oui, Seigneur, moi, je suis convaincu que c’est toi qui es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde. (Jean 11,27)

Benedictus qui venit

Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Le Seigneur est Dieu, il nous éclaire. Tu es mon Dieu, et je te célébrerai ; mon Dieu, je t’exalterai. (Psaume 118,26-28)

Quare fremuerunt gentes

Pourquoi les nations s’agitent-elles ? Pourquoi les peuples grondent-ils en vain ? Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit. Comme il était au commencement, maintenant et toujours, pour les siècles des siècles. Amen. (Psaume 2,1)

À cette époque, la vision de Dieu qu’a Saint-Saëns n’est pas encore celle de la maturité. Elle oscille entre la terreur des modernistes, la confiance en la miséricorde d’un Haydn, ou l’amour incarné d’un Beethoven. Ce Quare fremuerunt qui porte une lourde question est pourtant allégée par l’introduction instrumentale presque bucolique, faite de doubles croches. Mais surtout ce Quare inquiétant qui finit comme essoufflé sur un pianissimo à l’unisson, s’ouvre sur le gloria Patri si doux, dans cette tonalité de SI bémol Majeur, celle de l’amour serein et de l’espérance d’un monde meilleur.

En choisissant cette tonalité Saint-Saëns veut mettre l’accent sur la mission du Christ, celle d’ouvrir un monde nouveau vers lequel toute la partition, et donc toute l’humanité, est tendue. Ce n’est pas le Do majeur des entrées glorieuses à la Lully. Ce gloria ouvre trente-six mesures qui seront conclues par l’orgue sur un point d’orgue, une note tenue hors du tempo, hors du temps. Mais cette note ultime, infinie, porte une valeur de quatre, sur un accord de tierce et de quarte : 3 et 4, les deux chiffres du Christ (3 pour sa nature divine et 4 pour sa nature humaine). Note finale sur un accord de si bémol, pour affirmer que l’espérance est cet amour serein que le Christ vient apporter ce soir de Noël.

36 mesures entre le début de ce gloria et la montée finale. 36 : 12X3 : les 12 vieillards, les 12 tribus, les 12 apôtres. Nous sommes là à la fin des temps, au moment du jugement ultime. Mais notons que ce jugement n’est pas dans une tonalité dramatique ou grandiose, mais dans celle de l’espérance et de l’amour serein. C’est bien à cela qu’ouvre cette nuit de Noël, une espérance sereine, car c’est au poids de l’amour que les âmes seront jugées. Pas de terreur pour qui aime Dieu et espère en Lui.

Tecum principium

A toi le principat, au jour de ta puissance ; dans l’éclat de la sainteté. (Psaume 110,3)

Alleluja

Ciel, pousse des cris de joie ! Terre, sois dans l’allégresse ! Car le Seigneur console son peuple, Il a compassion de ses pauvres. (Isaïe 49,3)

Tollite hostias

Apportez des offrandes, entrez dans les cours de son temple ! Que le ciel se réjouisse, que la terre soit dans l’allégresse ! Devant le Seigneur, car il vient! (Psaumes 96,8; 96,11; 96:13)

La joie est alors à son comble et rejoint la terre entière, les gens les plus simples. C’est ce que nous rappelle Saint-Saëns, en laissant Bach de côté pour conclure son œuvre par des mélodies inspirées des vieux noëls français. C’est par cette simple ferveur populaire que Saint-Saëns ouvre, plus qu’il ne conclut, son oratorio en forme de louange, d’action de grâce pour l’œuvre de Création divine dont l’Incarnation est une nouvelle étape.

Consurge, Filia Sion

Lève-toi, fille de Sion, crie, au début des veilles de la nuit ! Alléluia. Jusqu’à ce que sa justice s’impose, comme une clarté, et son salut, comme un flambeau qui s’allume. Alléluia. (Lamentations 2,19; Isaïe 62,1)