Jeune xavière, Juliette est très active sur les réseaux sociaux, et notamment sur Facebook. Comment vit-elle cet engagement 2.0 ?
« C’est pas interdit Facebook quand t’es bonne sœur ? »

La question me fait sourire, et comme souvent pour des questions de ce genre, la meilleure réponse consiste à questionner le fond de la question elle-même. Ici, ce serait demander « Pourquoi ce serait interdit à ton avis ? Tu penses que c’est mauvais ? » Et je ne résisterais probablement pas à glisser un petit couplet sur le fait que la vie religieuse n’est pas un ensemble de règles dictant le permis et le défendu, mais d’abord le choix de suivre le Christ qui nous rend libres, et que nous sommes renvoyées en tout à notre discernement, qui se fait dans la prière et dans le dialogue avec nos supérieures.

Il se trouve que je suis religieuse et que je suis sur Facebook. Je suis présente sur les réseaux sociaux depuis mon adolescence, je suis de cette génération qui a vu la naissance de Facebook, de Twitter, et des autres, et qui a vu en eux un formidable terrain de jeu.

Avant d’entrer au noviciat, j’étais « hyper connectée ». Je travaillais dans une start-up sociale, qui créait un réseau social un peu particulier : Entourage, une appli pour lutter contre l’exclusion relationnelle des personnes de la rue. L’application met en relation des riverains et des personnes à la rue pour organiser des sorties ou échanger des services. Concrètement, je passais donc mes journées sur Twitter, Facebook et LinkedIn, qui étaient mes outils de travail, tout en menant avec l’équipe une réflexion de fond sur ce que nous voulions faire de ce réseau social. Une chose était claire pour nous : là où les réseaux sociaux traditionnels ont des mécanismes qui créent une addiction, celui que nous étions en train de créer était fait pour ne plus être utilisé. L’appli en réalité était un prétexte pour favoriser l’entrée en relation. Mais le but était la rencontre elle-même, « IRL » (in real life), et nous savions que le jour où un riverain intimidé lâcherait son smartphone pour aller directement vers une personne de la rue, nous aurions rempli notre mission.

En attendant, moi, je passais mon temps sur les réseaux traditionnels, et cela me convenait parfaitement.

Jusqu’au jour où je suis entrée au noviciat. Le noviciat, c’est 2 ans de « désert », 2 ans passés à l’écart pour mûrir l’appel du Seigneur. Et qui dit désert dit déconnexion. Alors j’ai laissé à la personne qui m’a succédé chez Entourage mon beau smartphone quasi flambant neuf pour aller acheter un téléphone à touches ; j’ai troqué mon forfait appels-sms-internet illimité contre un minimaliste forfait à 2€ et… j’ai suspendu mon compte Facebook, ce qui a été en soi une vraie épreuve de volonté. D’abord, il a fallu trouver le bouton, ce qui demandait de s’aventurer dans les bas-fonds des paramètres de Facebook. Ensuite, il a fallu combattre les tentations : j’appuie sur le bouton de suspension du compte, et apparaissent alors les visages des 3 dernières personnes avec lesquelles j’avais discuté sur Messenger, surmontés de ce message crève-cœur : « être-vous sûre de vouloir suspendre votre compte ? Vous ne pourrez plus parler avec X, Y et Z ! ». Je clique sur confirmer, ce qui a fait apparaître la seconde tentation : à nouveau, 3 visages, ceux des dernières personnes que j’avais ajoutées comme amies. Et encore ce message : « êtes-vous sûre de vouloir suspendre votre compte ?… ». Et je l’avoue, j’ai hésité. J’ai hésité mais suis allée au bout, j’ai suspendu mon compte pendant 2 ans…

Mais après 2 ans dans le désert, 2 ans de vie déconnectée, le temps est venu de prononcer les vœux et d’être envoyée dans le monde, et donc… de me reconnecter. J’ai décidé de réactiver mon compte en lien avec ma mission dans la Pastorale des Jeunes, même si je me suis aperçue très vite que Facebook était devenu « un truc de vieux ». Les jeunes, les vrais, eux, étaient sur Insta et sur Snapchat.

Aujourd’hui, bientôt 4 ans après mon « come back » sur les réseaux sociaux, je vois Facebook et les autres réseaux comme un lieu de mission, et j’ai pour me guider sur cette terre particulière plusieurs repères.

Je vois Facebook comme un lieu de mission d’abord parce que, comme dans tout lieu de mission, je crois que Dieu y est déjà présent. A moi de chercher les signes de sa présence, de me mettre à l’écoute de ce monde, de mes « amis Facebook » et de ce que leurs murs me disent d’eux, de leur vie, de leurs joies, de leurs épreuves, de leurs questions, que je porte dans ma prière.

Facebook est aussi un lieu de partage et de témoignage de ma foi. J’ai commencé à la faveur du premier confinement à publier sur Facebook des chroniques, des prières et des commentaires d’Évangile, sans savoir si j’allais continuer. Et plusieurs personnes m’ont fait des retours encourageants, m’ont remerciée pour telle ou telle parole qui les rejoignait. J’ai été touchée de voir que parmi les personnes qui réagissaient il n’y avait pas que mes « amis » cathos, mais aussi des croyants d’autres religions, des agnostiques et des athées. Cela a parfois donné lieu à des échanges ou à des témoignages de leur part. Alors j’ai continué, en gardant un point de vigilance.
Le premier point, le point essentiel, est celui de l’humilité : si j’écris ça ne doit jamais être pour me mettre en avant, ou pour collecter le maximum de « likes ». Si j’écris, si je témoigne, c’est au nom du Christ, et pour contribuer modestement à ce que celles et ceux qui me liront le rencontrent ou le connaissent davantage. En cela, la figure de Jean-Baptiste m’inspire beaucoup. Il s’agit de montrer Jésus et de dire « voici l’agneau de Dieu » et de s’effacer. C’est tout. Il y a bien des façons de faire ce geste, d’indiquer Jésus. Jean-Baptiste le faisait vêtu de peaux de bêtes et au bord du Jourdain. Moi c’est derrière un écran. Avoir cette posture d’humilité n’est pas facile. Elle se cultive dans la prière. Dans le dialogue d’obéissance aussi. Dans les discussions que je peux avoir avec tel ou telle ami(e) ou sœur qui me fait des retours. Autant de garde-fous qui m’aident à ne pas me tromper de but, à garder le cap.

Jésus dit dans sa prière à son Père : « Je ne prie pas pour que tu retires du monde [ceux que Tu m’as donnés], mais pour que tu les gardes du mauvais. » (Jn 17, 15). Comme chrétien, nous n’avons pas vocation à vivre hors du monde. Mais nous avons à utiliser ce que le monde met à notre disposition dans la mesure où cela nous aide à faire ce pour quoi nous avons été créés, comme le dit St Ignace au début des Exercices Spirituels : créer, respecter et servir Dieu, notre Seigneur.

Et oui, les réseaux sociaux peuvent être un moyen pour cela, à nous de discerner pour les utiliser pour la plus grande gloire de Dieu !