Après l’ouverture du chemin synodal à Rome les 9 et 10 octobre dernier par le Pape François et le 17 octobre dans tous les diocèses du monde, les églises locales sont entrées dans ce processus d’écoute et de discernement. Tous les baptisés sont invités à participer à cette première phase diocésaine du synode.

Dans une interview parue dans le journal en ligne Vida Nueva, Nathalie Becquart, xavière, Sous-Secrétaire au Secrétariat du Synode, nous livre quelques éléments de réflexion sur la synodalité.

Ouverture du Synode - Rome, 9 octobre 2021 - © Vatican Media

Vie consacrée et synodalité

Pensez-vous que la vie consacrée, à partir de son essence d’engagement dans la vie communautaire, peut offrir une vision enrichie de ce que signifie introduire la synodalité dans la vie quotidienne et dans la prise de décision dans l’Église ?

J’ai la conviction depuis longtemps que la vie religieuse a un rôle particulier et important à jouer pour promouvoir la synodalité et aider toute l’Église à vivre cette nécessaire conversion synodale qui est l’appel de Dieu pour l’Église du 3ème millénaire. De par sa longue expérience de vie communautaire, de discernement en commun, ses instances de délibération et décision comme les chapitres et conseils, la vie religieuse a une expérience très concrète de cette « marche ensemble » qu’est la synodalité vécue comme un processus spirituel. Elle doit partager cela aujourd’hui à toute l’Église et contribuer à la formation au discernement personnel et communautaire nécessaire pour vivre la synodalité à tous les niveaux.

Par ailleurs, comme nous l’avons particulièrement souligné dans le Document Préparatoire et le Vademecum , la synodalité qui implique que tous soient écoutés et acteurs, invite à porter une attention particulière aux plus pauvres, aux plus petits, à ceux qui sont aux périphéries. Elle doit favoriser la participation de tous et notamment donner voix aux sans-voix. Les pistes proposées pour la consultation synodale invitent par exemple à s’interroger : « quelle place occupe la voix des minorités, des marginaux, des exclus ? ». Or la vie religieuse, comme nous le savons, porte dans son ADN la présence auprès des plus pauvres. Et il est heureux de voir qu’aujourd’hui se développe des projets intercongrégations pour rejoindre et accompagner de manière créative et prophétique les personnes en difficulté. La vie religieuse doit donc aussi porter cette attention particulière aux plus pauvres dans le processus synodal et aider à créer les ponts pour rejoindre, écouter et faire entendre leur voix.

La préparation au Synode à La Xavière

Comment allez-vous, par exemple, vous préparer au Synode dans votre communauté et dans votre congrégation ?

Pour célébrer nos 100 ans de fondation, cet été ma congrégation a organisé un rassemblement-pèlerinage à Lourdes avec toutes les xavières, nos familles, amis, collègues et dans le programme il y avait un temps pour parler de la synodalité. D’ailleurs la préparation de ce grand rassemblement s’est faite de manière très synodale en impliquant toutes les xavières mais aussi d’autres : les laïcs associés à La Xavière, des jésuites, des jeunes. Toutes les communautés sont aujourd’hui encouragées comme tous les consacrés à s’impliquer particulièrement dans la phase diocésaine d’écoute et de discernement par lequel ce processus synodal s’est ouvert le 17 octobre. Notre Supérieure Générale en tant que représentante de la CORREF fait partie d’un groupe de travail sur la synodalité dans le cadre d’une initiative très intéressante en France appelée « Promesses d’Église ».  Celle-ci réunit les responsables d’une grande diversité d’organisations catholiques (Caritas, des communautés religieuses, les mouvements de scoutisme catholiques et les mouvements d’action catholiques, des communautés nouvelles et charismatiques…) avec aussi deux évêques qui participent. Nous sommes donc  particulièrement sensibilisées à la synodalité !

Ce que j’espère pour ma communauté comme pour les autres communautés religieuses c’est que nous puissions participer à la consultation synodale, faire entendre notre voix, vivre aussi un processus synodal en intercongrégations à différents niveaux à travers les rencontres diocésaines de vie consacrée, les conférences nationales et continentales de religieux, religieuses. Et aussi recevoir pour nous cette invitation du processus synodal centré sur une question fondamentale : « comment se réalise aujourd’hui, à différents niveaux (du niveau local au niveau universel) ce “ marcher ensemble ” qui permet à l’Église d’annoncer l’Évangile, conformément à la mission qui lui a été confiée ? Et quels pas de plus l’Esprit nous invite-t-il à poser pour grandir comme Église synodale ? »

Comme les paroisses et autres communautés chrétiennes, nous avons donc à relire ce que nous vivons déjà de cette dynamique synodale mais aussi repérer et nommer les lieux de conversion à vivre, les pas de plus à poser. Nous le savons la vie consacrée n’est pas exempte malheureusement de dérives autoritaires et «cléricales » qui entrainent des abus de toutes sortes. Nous avons aussi à grandir et avancer pour mettre en œuvre à tous les niveaux cette écoute et participation de tous. La question de l’exercice de l’autorité, de la coresponsabilité nous concerne aussi.

Les communautés contemplatives et le synode

Le Cardinal Grech a envoyé une lettre à toutes les communautés contemplatives, comment peuvent-elles aider dans ce processus synodal ?

D’abord par la prière. Tout synode commence et se termine par une célébration liturgique ; toute démarche synodale est un processus spirituel qui doit être enraciné dans la prière, l’écoute de la parole de Dieu. D’ailleurs au commencement de tout synode ou concile, on introduit solennellement le Livre de la Parole de Dieu. Les monastères sont un poumon spirituel privilégié pour l’Église, nous comptons sur leur prière pour le synode, sur leur intercession pour que nous soyons tous vraiment à l’écoute de l’Esprit-Saint. Ils peuvent aussi aider bon nombre de chrétiens à découvrir davantage comment prier, comment méditer la Parole de Dieu, comment relire et discerner la présence de l’Esprit. Et puis comme tous les baptisés, ils font partie du Peuple de Dieu et sont appelés à participer à la consultation synodale, à être acteurs dans ce processus.

L’Église universelle

L’Église universelle est-elle prête pour la synodalité ?

L’Église universelle est très diverse. Chaque Église locale a son histoire, sa culture, son expérience déjà plus ou moins forte de synodalité. La synodalité suppose toujours une manière inculturée de procéder. Certains pays comme la France par exemple ont connu de très nombreux synodes diocésains et ont donc déjà un terreau synodal assez fort, d’autres n’en ont pas encore expérimenté. L’Amérique latine de par son expérience de la réception du Concile Vatican à travers les conférences du CELAM (Puebla, Apparecida…) et aujourd’hui sa préparation de l’Assemblée ecclésiale d’Amérique Latine est déjà bien en route pour repenser ses structures, sa mission en « clé synodale » et fait un gros travail de formation à la synodalité. Dans d’autres pays, la notion de synodalité est encore peu connue et mise en œuvre.

Quels que soient les points de départ, sans doute y-a-t-il aujourd’hui une conscience croissante de l’appel à devenir une Église synodale. Les derniers synodes sur les jeunes et l’Amazonie ont particulièrement mis en lumière l’enjeu de la synodalité comme la manière de transmettre la foi aujourd’hui. Et la prise de consciente croissante de la crise des abus dans l’Église comme un problème systémique met en lumière cet enjeu de la synodalité. En ce sens la vision de l’Église synodale peut être vue comme la manière de sortir du cléricalisme qui a conduit à la possibilité de tant d’abus. Le Pape François l’exprime très bien : « La synodalité est la manière d’être une Église aujourd’hui selon la volonté de Dieu dans une dynamique d’écoute  et de discernement de l’Esprit saint ». Le Document préparatoire, après une lecture des signes des temps qui souligne quelques aspects majeurs du contexte historique dans lequel nous vivons marqués par des changements majeurs, souligne ainsi cette perspective forte au n°9 : « Dans ce contexte, la synodalité constitue la voie royale pour l’Église, appelée à se renouveler sous l’action de l’Esprit et grâce à l’écoute de la Parole ». Depuis le mois de mai, avec Cardinal Mario Grech et Mgr Luis Marin de San Martin, nous sommes en dialogue avec toutes les conférences épiscopales du monde à travers des rencontres zoom organisées par langues et continents et je peux vraiment témoigner que l’esprit de la synodalité souffle de par le monde.  Si nous croyons vraiment que la synodalité est l’appel de Dieu pour l’Église du troisième millénaire, nous pouvons croire que l’Esprit-Saint va guider l’Église toute entière sur ce chemin car Dieu donne toujours la grâce de ce à quoi il appelle.

D’un synode événement à un synode processus

La proposition sans précédent faite par le Vatican pour le prochain Synode des évêques, en plus d’être basée sur l’écoute du peuple de Dieu, change le paradigme de sorte que le Synode passe d’un événement à un processus. Comment le Synode de l’Amazone a-t-il aidé ?

En fait ce changement a surtout été acté et signifié par la nouvelle constitution sur le Synode des Evêques Episcopalis Communio parue en septembre 2018 peu avant l’assemblée générale du synode sur « les jeunes, la foi et le discernement vocationnel » d’octobre 2018. Elle introduit vraiment ce changement pour passer de la conception préalable du synode pensé d’abord comme un évènement réunissant les évêques à Rome à la nouveauté du synode pensé comme un processus en plusieurs étapes qui intègre une première phase de préparation, la phase de célébration à Rome mais aussi la  phase très importante de mise en œuvre (cf Episcopalis Communio §4). Ainsi « le processus synodal a non seulement un point de départ, mais également un point d’arrivée dans le Peuple de Dieu, sur lequel doivent, à travers le rassemblement de l’Assemblée des Pasteurs, se répandre les dons de grâce accordés par l’Esprit Saint. » (EC7).

Déjà les deux synodes sur la famille avec un questionnaire proposé dans tous les diocèses avaient cherché à élargir la consultation, puis la préparation du synode des jeunes, outre un questionnaire en ligne plurilingue directement adressé aux jeunes du monde entier en complément du processus de consultation dans les diocèses et autres réalités ecclésiales, a introduit la nouveauté du pré-synode des jeunes à Rome en mars 2018 dont le Document Final a très largement contribué à l’élaboration du Document de travail (Instrumentum Laboris).

Puis le synode sur l’Amazonie a encore développé davantage cette dynamique de réunions pré-synodales actée par Episcopalis Communio, organisant notamment de très nombreuses rencontres d’écoute avec les populations indigènes d’Amazonie.

On voit ainsi comment la démarche synodale évolue et s’enrichit de synodes en synodes car nous sommes en phase de « réapprentissage » de la synodalité. Le prochain synode a clairement pour but de continuer ce processus d’apprentissage de la synodalité en proposant une expérience concrète de synodalité qui implique toute la diversité du peuple de Dieu. C’est pourquoi la première phase dans les diocèses et conférences épiscopales est vraiment fondamentale.

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