Topo #4 : la désolation
Nous avons expérimenté la consolation dans notre vie ordinaire. Mais nous savons que c’est comme le temps : il y a les beaux jours et il y a les mauvais jours !
Il y a les jours où ce qui nous habite est tout le contraire de la consolation.
« Par exemple, ténèbres de l’âme, trouble intérieur, motion vers ce qui est bas et terrestre, inquiétude devant les diverses agitations et tentations, qui pousse à perdre confiance, sans espérance, sans amour ; l’âme s’y trouve toute paresseuse, tiède, triste et comme séparée de son Créateur et Seigneur. Car comme la consolation est à l’opposé de la désolation, les pensées qui naissent de la consolation sont également à l’opposé des pensées qui naissent de la désolation. » (Exercices spirituels n°317)
Qui de nous n’a pas éprouvé cela ? Les plus grands saints aussi, comme Thérèse d’Avila :
« Surviennent des jours où il me semble que toutes les bonnes choses, les ferveurs, les visions m’abandonnent, j’en perds même le souvenir et j’ai beau chercher, je ne puis trouver trace en moi de quelque chose de bien… Je ne puis penser à aucune des choses de Dieu …sans aucun courage pour la vertu… Il m’apparaît alors que je ne suis bonne à rien… Je suis triste… Je voudrais, semble-t-il, chercher querelle à tous mes contradicteurs. »
Que faire dans ces moments-là ?
Tenir bon, ne rien changer à ce qu’on a décidé, alors qu’au contraire, j’ai envie de tout lâcher. Pourquoi ? Parce que, alors que dans la consolation je suis sous la conduite de l’Esprit de Dieu, dans la désolation je suis sous l’influence du mauvais esprit qui essaie de me conseiller vers un mauvais chemin. Ce qui ne veut pas dire que je suis dans le péché ! C’est le vent du mauvais esprit qui souffle mais je peux résister. Toujours « j’exerce ma liberté », comme nous l’avons vu la première semaine.
C’est ainsi que Ste Thérèse d’Avila poursuit :
« Dieu me fait la grâce de ne pas l’offenser plus que d’habitude, je ne lui demande pas de me tirer de cet état, mais de m’y laisser toujours si telle est sa volonté, et s’il me tient par la main afin que je ne l’offense pas. Je me conforme à Lui de tout mon cœur et je crois que c’est de sa part une faveur immense de ne pas me laisser toujours ainsi. »
Je vais donc au contraire m’ancrer davantage dans la prière, dans les décisions prises, notamment les actes d’amour car l’amour fait fuir l’adversaire : il y est allergique !
« Soyez vainqueur du mal par le bien ! » (Rm 12, 21)
« Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans ta faiblesse » (2 Co 12, 9)
Un des moyens de vivre ce temps de désolation est d’en parler pour faire fuir celui qui se masque, celui que Jésus appelle « le père du mensonge » (Jn 8, 44). Saint Ignace le compare à un amoureux frivole :
« Sa conduite est encore celle d’un amoureux frivole : il demande le secret et ne redoute rien tant que d’être découvert. L’homme frivole, en effet, qui sollicite la fille d’un père honnête, ou la femme d’un homme d’honneur, veut que ses discours et ses insinuations restent secrets. Il craint vivement, au contraire, que la fille ne découvre à son père, ou la femme à son mari, ses paroles trompeuses et son intention perverse ; il comprend facilement qu’il ne pourrait alors réussir dans ses coupables desseins.
De même, quand l’ennemi de la nature humaine veut tromper une âme juste par ses ruses et ses artifices, il désire, il veut qu’elle l’écoute et qu’elle garde le secret. Mais si cette âme découvre tout à un confesseur éclairé, ou à une autre personne spirituelle qui connaisse les tromperies et les ruses de l’ennemi, il en reçoit un grand déplaisir ; car il sait que toute sa malice demeurera impuissante, du moment où ses tentatives seront découvertes et mises au grand jour. » (Exercices spirituels n°326).
Quand le mensonge est démasqué, il perd tout son pouvoir. Alors que la tentation va être de garder secret ce trouble qui nous habite…
D'où la désolation vient-elle ?
Il y a 3 raisons principales à la désolation:
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à cause de notre tiédeur, d’une situation de péché ou de notre négligence dans la vie spirituelle. Un feu dans lequel on ne remet jamais de bois va s’éteindre doucement. C’est la première chose à vérifier et… à rectifier !
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Mais cela peut aussi être pour éprouver ce que nous valons : quelle est la réalité de mon amour ? Vais-je à Dieu pour lui-même ou simplement pour les élans, les satisfactions qu’il m’apporte, comme un enfant qui ne viendrait auprès de ses parents que pour avoir des friandises ? La désolation est un chemin qui purifie l’amour de ce qui reste égoïste.
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Pour nous faire découvrir que tout est grâce, y compris notre élan vers Dieu. En effet qui peut faire naître de lui-même la consolation ? N’allons pas nous enorgueillir de ce qui est un don de Dieu.
La désolation nous fait grandir
La désolation va nous faire grandir dans la foi et l’amour qui ne se mesurent pas à ce qu’on ressent, mais à ce qu’on décide. La désolation nous fait grandir en liberté, en amour vrai.
Sinon nous naviguons d’un bord à l’autre, nous laissant ballotter au fil de nos humeurs, sans rien diriger de notre vie.
Pour conclure, tout homme, toute femme connaît ces alternances d’états intérieurs. Et pour nous chrétiens, c’est au cœur de ces alternances que se construit notre vie spirituelle, notre vie d’enfants de Dieu, que se construit notre liberté qui s’est exprimée dans le choix de notre baptême :
« Pour suivre Jésus, le Christ, rejetez-vous Satan qui est l’auteur du péché ?… Renoncez-vous à toutes ses séductions ? » (Rituel du baptême)
Plus nous allons repérer nos états intérieurs, plus nous allons pouvoir marcher dans la direction que nous avons choisie sans nous laisser détourner par l’adversaire, même dans la désolation.
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Exercices pour la semaine
Revenons aux paroles d’Evagre pour nourrir notre prière du soir :
« Sois le portier de ton cœur et ne laisse aucune pensée entrer sans l’interroger. Interroge-les une à une et dis à chacune : es-tu de notre parti ou du parti des adversaires ? Si elle est de ta maison, elle te comblera de paix ; si elle est de l’adversaire, elle t’agitera de colère ou te troublera de désir. Il faut donc scruter à tout instant l’état de ton âme. »
Evagre le Pontique (moine du 4° siècle)
Le portier est celui qui veille à la porte de la maison et la surveille. Il questionne, il ouvre ou ferme selon de qui il s’agit. Cette image du portier qui veille à la porte et attend la venue du maître a une postérité spirituelle immense. Depuis les Pères du Désert, elle nous invite à être le portier de notre cœur pour veiller sur ce qui y entre et ce qui en sort.
Une circulation intense de pensées, de réactions, de projets emprunte notre porte intérieure, celle-là même où Jésus aussi vient frapper pour s’asseoir près de nous et prendre le repas avec nous. (Ap 3, 20).
Nous pouvons chaque soir nous poser deux questions :
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Qui a frappé aujourd’hui à la porte de mon cœur ? Qui l’a franchie et quel est le fruit de sa présence en moi ?
Un ami ? Paix, joie, désir d’aimer et d’avancer… ? Alors merci Seigneur, tu es venu.
Ou bien était-ce l’ennemi ? Ce qui me mène au repli, à l’amertume, la tristesse, l’isolement,… Alors pardon Seigneur, viens me chercher !
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Qui ou quoi est sorti de mon cœur ? Quelles pensées, paroles, projets, réactions ? Et quels fruits produisent-ils ?
Bonté, amour, pardon, justice… ? Alors merci, Seigneur, de ta présence.
Ou égarement, irritation, inconsistance, discorde… ? Alors viens, Seigneur, changer mon cœur !
(d’après Rémi de Maindreville, dans Christus – octobre 2017)
Deux textes à méditer
Il suffit que je tienne bon à chaque assaut et que je tienne toujours fermée la porte de mon consentement, et Dieu sera content : il n’en demande pas plus.
Je me rappellerai toujours ce que me suggère Saint François de Sales : »Laissez le démon (c’est à dire l’autre raison, celle de l’autre moi) frapper et crier à la porte de votre cœur, en vous présentant mille images et pensées importunes ; puisqu’il ne peut entrer que par la porte du consentement, tenez la bien fermée et soyez en paix. Que cela ne vous inquiète pas, si les fantômes font du bruit autour de votre barque, et ne craignez pas, tant que Dieu est là.
Donc, quand il s’agit de pensées d’amour-propre, de réputation, d’honneurs, de postes importants, et autres choses semblables, pourvu que je ne provoque pas ces pensées et que je m’efforce de ne pas m’en inquiéter, je ne dois pas me troubler. Il suffit que je tienne bon dans mon refus, farouchement, sans prêter l’oreille aux prétextes et aux raisons de toute sorte, et que je ne me lasse jamais de refuser mon consentement, en opposant à ces pensées des pensées et des sentiments d’humilité ; alors l’amour- propre ne pourra rien obtenir.
(St Jean XXIII – Journal de l’âme)
Si de vilaines pensées te tracassent, ne les cache pas, mais immédiatement dis-les à ton père spirituel ; plus on cache ses pensées, plus elles se multiplient et prennent vigueur. Comme un serpent, sorti de sa tanière, s’enfuit aussitôt, ainsi la mauvaise pensée, à peine manifestée, se dissipe. Et comme un ver dedans le bois, ainsi la mauvaise pensée cachée démolit le cœur. Qui manifeste ses pensées est bientôt guéri. Qui les cache se rend malade d’orgueil.
(Vieillard anonyme de l’Orient)