Une rencontre s’est déroulée à Molfetta près de Bari les 19 et 20 juin dernier entre théologiens et évêques du sud de l’Italie. Ceux-ci ont lancé un appel pour une Méditerranée de paix, qui s’adresse aux responsables politiques, religieux et tous les hommes et femmes de bonne volonté.
L’Institut Catholique de la Méditerranée à Marseille, a initié un réseau avec divers instituts théologiques du pourtour de la Méditerranée en particulier en Italie, en Espagne, au Liban et en Turquie.
Un travail de recherche a été engagé depuis deux ans sur « La Méditerranée comme lieu théologique » se fondant, en particulier, sur le discours du pape François à Naples en 2019. Plusieurs rencontres numériques ont eu lieu ainsi qu’à l’occasion la célébration des trente ans de l’ISTR à Marseille.
« N’oubliez pas l’hospitalité ; certains ont accueilli des anges sans le savoir » (He 13, 1).
Le ventre méditerranéen et la promesse d’une possible fraternité
Vous avez entendu dire qu’il a été dit que cette mer est une mer dangereuse, mais ce n’est pas le cas.
Vous avez entendu dire qu’il a été dit que cette mer est une mer de mort, mais il ne doit pas en être ainsi.
Vous avez entendu dire qu’il a été dit que cette mer est une mer de quelques-uns, mais il ne peut pas en être ainsi.
Face au énième massacre qui a eu lieu dans les eaux de la Méditerranée, en tant que théologiens de différentes rives de la Méditerranée, nous ne pouvons pas rester silencieux. Nous nous sentons mis au défi de prendre position sur cette histoire de morts, de rejets, d’inégalités tragiques.
Nous sommes convaincus qu’un autre récit de la Méditerranée doit être recherché.
Cette Méditerranée, ses visages, ses histoires, les cris qui s’élèvent de cette mer, nous interpellent.
La théologie se tient avec un regard d’espérance, qui ne s’éloigne pas du tombeau, des tombeaux que cette mer représente, mais tente de les interpréter : entre mémoire et prophétie.
Cela signifie pour nous, écouter.
Écouter Dieu, jusqu’à entendre avec lui le cri de ces peuples ; écouter le cri de ces peuples jusqu’à leur insuffler la volonté à laquelle Dieu nous appelle, en tant que croyants et en tant qu’êtres humains.
Comme l’a souligné le Concile Vatican II, le genre humain vit aujourd’hui une nouvelle période de son histoire : une véritable transformation socioculturelle, des changements profonds, des questions qui touchent le sens de l’humain à côté d’aspirations toujours plus universelles et qui demandent à la pensée croyante de scruter dans ces événements les signes des temps en les interprétant à la lumière de l’Evangile (cf. GS).
Nous ressentons l’urgence d’une théologie capable d’accueillir la demande prophétique contenue dans le cri de douleur et dans les demandes de justice qui viennent des nombreux naufragés de l’histoire : de ceux qui quittent leur pays appauvri et dévasté par des conflits alimentés par les intérêts des puissants du monde ; par ceux qui sont exploités et humiliés dans leur dignité ; de ceux qui fuient la faim également produite par le changement climatique ; mais aussi l’instance enfermée dans le cri de la terre et d’une mer de plus en plus bouleversée par une économie prédatrice.
Nous savons que nous devons partir de cette écoute : des pleurs et du silence des histoires des submergés et des non-sauvés, des voix de ceux qui accueillent ou refusent cette disparition des frontières qui est en train de se faire.
Nous voulons affronter tout cela avec le style d’une théologie humble qui ne donne pas de réponses toutes faites, mais se laisse habiter par les provocations de cette mer.
Et c’est précisément la catégorie des naufrages qui peut nous aider à réinterpréter la Méditerranée pour donner vie à de nouveaux récits.
Avec les nombreuses personnes qui voient leur espoir d’une vie meilleure, leur droit à la liberté, naufragés, nous aussi nous sommes naufragés comme notre humanité.
Nous sommes dans un naufrage de civilisation. Nous sommes tous des naufragés (tous et pas seulement certains) et cela brise déjà les frontières que nous aimerions raidir.
La Méditerranée est un lieu de naufrages.
Mais dans l’espérance qui a échappé au désespoir des migrants qui débarquent sur nos côtes, dans leurs yeux qui cherchent et demandent le salut et l’avenir, juste là nous pouvons déjà voir les signes du Royaume que nous aussi recherchons. L’espérance vient de l’autre, cet autre que nous croyons, être celui à accueillir, et qui au contraire nous sauve peut-être.
La prophétie qui naît des nombreuses tragédies de la Méditerranée, nous demande de trouver l’identité la plus profonde de cette mer aux frontières mobiles, impossible à enfermer dans une définition, dans une perspective culturelle, qui ne peut pas être seulement de quelques-uns mais est, pour la multitude qui la néglige, « notre » mer dans toutes les langues des peuples de la Méditerranée.
Espace d’interconnexions, carrefour de routes, la Méditerranée témoigne de la fécondité d’une contamination génératrice de spécificités culturelles. Il n’y a pas d’identité culturelle pure : c’est ce que raconte la Méditerranée.
L’acceptation de l’autre est donc un acte de justice et de reconnaissance de ce que nous sommes dans cette mer qui est la nôtre, la mer du métissage. La demande prophétique est dans l’hospitalité qui devient un paradigme culturel et une pensée, un critère de vie et d’action sociale. Reconnaître l’autre, nos différences, nos contaminations ne peut être considéré comme un choix facultatif.
Dans cette reconnaissance, il y a notre humanité, mais aussi la dynamique même de la Révélation : Dieu est dialogue et le dialogue est la place de Dieu.
Nous pensons que nous devons demander pardon pour les fermetures justifiées au nom de la foi, pour les conflits soutenus par des raisons religieuses, pour le manque de courage dans la dénonciation des maux causés par les systèmes idéologiques et de pouvoir.
Nous voudrions plutôt nous laisser instruire par les expériences de tant de communautés qui se sont laissé renouveler et convertir en accueillant l’étranger, qui ont redécouvert le sens vivant de leur foi en devenant accueillantes à la foi de l’autre.
La théologie a besoin de repartir d’expériences, car c’est là que nous pouvons reconnaître l’action révélatrice et novatrice de l’Esprit : « Voici, je fais quelque chose de nouveau : en ce moment ça germe, ne vous en rendez-vous pas compte ? » (Isaïe 43,19 ; cf. Apocalypse 21:5).
Dans les naufrages comme dans l’hospitalité, la Méditerranée raconte la promesse d’une fraternité possible. De la tombe, il peut redevenir l’utérus, le ventre de l’espoir. C’est la force du mystère pascal qui demande à être transformée en responsabilité de l’histoire.
Faculté de théologie des Pouilles, Faculté pontificale de théologie du sud de l’Italie, Institut catholique de la Méditerranée − Marseille, Groupe de recherche « La Méditerranée comme lieu théologique »