Claire Fourcade, médecin, est présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP). Nous publions avec son accord la Tribune qu’elle a signée dans Le Monde le 17 mars dernier. « En optant pour les soins palliatifs, la France est prête à secourir et à accompagner toute fragilité ».

Tribune.

Au tournant de l’an 2000, on mourait souvent mal en France et dans une indifférence quasiment générale. « La mort, c’est difficile, c’est un échec de la médecine. Fermons la porte, passons notre chemin », un constat entendu chez la plupart de mes confrères. C’était l’attitude encore d’un nombre certain de ceux qui m’ont formée. Aucun médecin n’entrait plus dans les chambres de ceux qui n’avaient pas pu profiter des progrès de la technique : ils mouraient donc comme ils le pouvaient, tant bien que mal, aidés par des soignants démunis.
Dans cet état des choses, deux options se présentaient : le statu quo, continuons à ne rien voir ; l’euthanasie, faisons mourir pour ne pas laisser souffrir plus longtemps. Comme souvent quand survient un dilemme éthique, il convient de refuser de se laisser enfermer dans un choix binaire qui n’offre que des alternatives mauvaises. Les soins palliatifs ont proposé une troisième voie.

Envers du décor douloureux
Certains pays firent le choix de l’euthanasie, autorisant à donner la mort au nom de la compassion. Était-ce véritablement un progrès ? Le recul est déjà suffisant pour qu’on en doute. Ouvrir l’option de l’euthanasie, c’était obliger chaque patient, non pas sans doute à la choisir, mais du moins à l’envisager. A se dire qu’il devrait y penser, que peut-être ce serait mieux pour lui ou pour ses proches. « C’est le type même de liberté personnelle qui ne déborde pas sur la liberté d’autrui », nous dit-on encore aujourd’hui.
L’observation des pays qui ont fait ce choix semble nous dire le contraire : nos choix individuels ont tous une dimension collective, et très vite la norme s’inverse. En Belgique, les 19 révisions de la loi en moins de vingt ans montrent combien il devient impossible de dire la limite. Au Canada, la suppression de la clause de conscience des soignants sous peine de sanctions financières pour leur établissement inquiète sur la liberté. Et comment la transgression, même exceptionnelle, de l’interdit de tuer, pourrait-elle être sans effet sur ceux dont la mort approche et sur ceux qui les accompagnent ? L’envers du décor est douloureux, et les soignants de ces pays sont nombreux à témoigner et à dire combien ils en souffrent.
En 1999, en 2005 puis à nouveau en 2016, les parlementaires français se sont saisis de cette question si complexe. Et malgré les lobbys, les pressions, alors même que les modèles belges et hollandais leur tendaient les bras, ils ont su ouvrir une troisième voie : celle du soin, du « care ». La France a été ainsi le premier pays au monde à disposer d’une loi organisant la prise en charge des personnes en fin de vie. Le choix qui a été fait est celui de l’accompagnement, des soins aux personnes les plus vulnérables, du respect de la faiblesse. L’obstination déraisonnable a été interdite, soulager est devenu une obligation légale « quoi qu’il en coûte », accompagner est un devoir. La dynamique des soins palliatifs s’est ainsi mise en place, apportant en vingt ans des améliorations très substantielles.

Lois non appliquées
Certes, ces lois n’ont pas été appliquées partout comme il le faudrait faute de formation, de moyens et de volonté politique : le droit qu’elles imposent pour tous de pouvoir bénéficier de soins palliatifs n’est pas suffisamment effectif. Certes, les progrès de la médecine elle-même suscitent des situations nouvelles de plus en plus complexes : nous aurons toujours à progresser, à apprendre. Une dynamique, c’est un élan et non un point d’arrivée. Mais malgré toute la marge d’amélioration qui subsiste, la France peut être fière de la voie singulière qu’elle a choisie et qui a inspiré de nombreux autres pays. Allons aujourd’hui jusqu’au bout de ce chemin et donnons-nous enfin tous les moyens de mettre en œuvre ce à quoi ces lois nous obligent.
D’ailleurs, n’est-ce pas aussi l’invitation que nous adresse la crise épidémique que nous traversons ? Le choix qui a été fait de réserver nos rares doses de vaccins aux personnes les plus dépendantes et les plus fragiles est approuvé par une majorité de Français. Comment notre société pourrait-elle envisager de donner la mort après avoir consenti tant de sacrifices pour sauver et pour protéger ? Et est-ce à ces mêmes soignants, qui se battent quotidiennement dans les conditions que l’on sait, pour sauver toutes les vies menacées, que l’on va demander ensuite de fournir une « aide active à mourir » ?
En optant pour les soins palliatifs, la France est prête à secourir et à accompagner toute fragilité. Assumons ce choix jusqu’au bout. Nous sommes « en care ».

Pour aller plus loin

Découvrez le témoignage de Brigitte, xavière et médecin qui travaille depuis plus de vingt ans auprès des personnes en fin de vie à la Maison médicale Jeanne Garnier.