Thérèse vit la crise sanitaire à Abobo, un quartier pauvre d’Abidjan. Elle nous partage la manière dont elle vit le confinement.

Ciel plutôt nuageux en ce moment sur Abidjan, mais avec de belles éclaircies, et parfois survient la tempête, l’orage, la pluie, après coup ce n’est pas mauvais ! Le confinement à Abobo prend alternativement toutes ces couleurs pour ce qui me concerne.

Le confinement à Abobo est pour notre communauté un confinement volontaire, car dans la journée, dans le quartier, chacun vaque à ses occupations, il faut bien vivre, aller chercher l’eau, vendre un peu pour trouver de quoi manger. La communauté ne connait pas ces contraintes et peut avec moins de pression se retirer des foules denses des embouteillages ou des marchés.

Rester à la maison, n’a donc rien d’un isolement. Bien souvent, des hommes, des jeunes femmes, des couples viennent nous rappeler, que le virus n’a pas fait disparaître la pauvreté bien au contraire, l’exacerbe. Ces personnes frappent à notre portail pour demander de quoi manger. Cet accueil n’est pas nouveau mais il prend un autre tournant, plus vif, plus criant. Ce fut pour moi, et pour la communauté, une vraie interpellation, nous avons opté pour y réfléchir avec d’autres, avec la Caritas de la paroisse et les chefs du quartier. Ne pas anticiper cet accueil générait une certaine violence à travers une réponse jamais à la hauteur, nos plus beaux sourires ne suffisent pas à combler la faim !!

Pour ma part, j’ai accueilli ce temps donné de manière impromptue sans préparation, comme une halte dans un agenda bien chargé! Je me suis dit que tout ce temps allait me permettre de me mettre à jour dans mes lectures, préparation de session ou de rangement de papiers… Ce n’est pas faux mais c’était sans compter sur le changement de rythme qui impacte mes motivations à travailler sans pression. Finalement je prends conscience à quel point mon travail (assez varié à cause des différentes populations que je côtoie) m’ouvre, me stimule, me dynamise et tout simplement me manque. Parfois je suis atteinte d’un virus imaginaire : « bon, reprenons lundi prochain, tout cela n’est pas si grave ». Alors oui dans ces moments-là le ciel s’assombrit un peu.

Rester à la maison, c’est aussi exercer avec plus d’attention des petits discernements pour comprendre ce qui nourrit vraiment ou au contraire nourrit illusoirement. J’aime lire, mais lire quoi ? Je me suis rendue compte que la lecture d’un roman n’a rien de mauvais et pourtant, chez moi, ça prend les allures d’une addiction, tant qu’il n’est pas fini, j’ai le nez fourré dedans….alors je l’ai lu jusqu’au bout, je l’ai posé sur les étagères et j’ai pu ainsi laisser mon esprit s’accrocher à autre chose de plus nourrissant durablement. Ces activités «autres», comme le jardinage, l’aquarelle, d’autres manières de prier, de nouvelles recettes de cuisine, d’autres manières de se retrouver en communauté, d’être en relation avec ses amis et sa famille, sont autant d’expériences pour habiter ce temps « autrement ». Et comme ça dure un peu, s’y installer ouvre un questionnement sur nos manières de vivre, sur le regard porté sur le monde qui nous entoure. Avec la communauté d’Abobo nous avons répondu à une demande des prêtres de notre paroisse, pour animer avec eux les offices du triduum pascal retransmis en direct aux paroissiens connectés, nous étions dans l’église pour présenter à Dieu les 5000 paroissiens : célébrations dépouillées, austères, intenses de communion. Ce temps « autre » nous a permis d’être là « au milieu » simplement dans la foi..

Les « autres » choses prennent du temps pour les ré-apprivoiser, mais creusent en même temps le goût de ne pas les perdre quand demain redeviendra moins confiné.

Je ne suis pas au front, je suis à la maison, mais au front de mes propres  frontières intérieures, un front où je dois me battre contre les illusions romanesques, avec  l’impression de perdre mon temps, ou encore avec la peur de ce que sera demain. Je ne gagne ni ne perds de bataille, j’apprends seulement à Le reconnaître autrement sur ces chemins nouveaux qui ont l’air de s’ouvrir en moi, ici tout particulièrement à Abobo.