Joëlle Ferry, théologienne et bibliste, nous introduit à la lecture de Fratelli Tutti. Ce document est long et grave, mais il se lit bien et a du souffle, nous dit-elle. Petit tour d’horizon de ce texte qui nous convoque à une fraternité que nous désirons tous.
« Fratelli tutti ». Tous frères et sœurs ! Dans sa nouvelle encyclique, le pape François continue à se placer sous le patronage de François d’Assise : Laudato si’, Fratelli tutti ! : Prendre soin de notre maison commune, et vivre une fraternité universelle.
Le pape François dit lui-même, dans les paragraphes introductifs, que son encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale recueille beaucoup d’interventions précédentes en les situant dans le contexte d’une réflexion plus large (FT 5). Bien des sujets ont déjà été abordés par François. Il résume ici sa vision du monde. La nouveauté réside dans l’axe unifiant : la fraternité universelle, ainsi que dans les sources et références. Dans Laudato si’ François évoque son amitié et sa proximité de pensée avec Bartholomée, patriarche orthodoxe qui a promu la sauvegarde de la création. Dans Fratelli Tutti, il dit avoir été encouragé par le Grand Iman Ahmad Al-Tayyed rencontré à Abou Dhabi pour promouvoir le dialogue. Il fait appel à l’imagination de tous en soulignant que les rêves sont une dimension humaine forte. Comment ne pas penser à Martin Luther King : I have a dream ? L’horizon est large !
Le regard sur la situation d’aujourd’hui, le ton, des images et quelques perles retiennent particulièrement l’attention. Le premier chapitre, les ombres d’un monde fermé, est sombre. Mais la pandémie, dit François, est une occasion historique pour changer le monde et inviter chacun, chacune, à la conversion. Le monde est désorienté, en crise ? La révolution fraternelle n’en est que plus urgente ! Des rêves se sont brisés en morceaux ? Marchons ensemble dans l’espérance : les désirs et capacités de tout être humain peuvent ouvrir d’autres chemins. La pandémie nous met devant un choix critique : choisirons-nous le repli ou l’ouverture ? Elle est une crise : en sortirons-nous meilleurs ou pires ? L’avenir se construit ensemble. La solidarité est une voie pour sortir meilleurs de la crise car « Personne ne se sauve seul », c’est un « beau secret pour rêver et faire de notre vie une belle aventure » (8).
Sept chapitres déroulent ensuite des appels à la fraternité et à l’amitié sociale en différents domaines. Là encore, le champ est vaste : le soin de la création, l’accueil des migrants, le dialogue interreligieux, la paix, la politique… François se situe dans la tradition des encycliques sociales. La longue méditation sur la parabole du bon samaritain (ch. 2), un étranger sur le chemin, est une forte interpellation du pape : A qui t’identifies-tu ? Aux brigands, à ceux qui passent dans l’indifférence, au samaritain, au blessé ? La seule réponse, dans ce monde qui fait mal, est, à l’image du samaritain, de nous faire proches.
De quoi est faite la vie humaine ? De relations, de rencontres, de dialogues. Le dialogue donne naissance à la culture de la rencontre qui est un véritable style de vie. L’être humain atteint sa plénitude en sortant de soi, en se donnant aux autres. Il est significatif que les titres de deux chapitres (3 et 4) soulignent l’ouverture nécessaire, celle du monde, celle du cœur humain. L’humanité est appelée à une fraternité universelle qui est ouverture. L’amitié avec les pauvres, les migrants qui sont les premières victimes de la situation actuelle, est à la fois une urgence de justice sociale et l’expression par excellence de la fraternité.
L’encyclique est un texte social mais aussi politique. Le néo-libéralisme comme les populismes « malsains et irresponsables » conduisent le monde à sa perte. Vers où aller ? Quelles directions prendre ? La fraternité doit avoir une dimension politique : réforme de la gouvernance mondiale, et d’abord de l’ONU, abolition de la peine de mort, remise en cause de la notion de « guerre juste »… Le pape va jusqu’à commenter la devise « liberté, égalité, fraternité » !
Texte social, politique, mais aussi prophétique : La construction de la paix est un « artisanat qui nous concerne tous », institutions comme personnes. Le pape souligne deux lieux de paix : le pardon (ch. 7) auquel l’encyclique consacre de beaux passages : « le pardon est ce qui permet de rechercher la justice sans tomber dans le cercle vicieux de la vengeance, ni dans l’injustice de l’oubli. » ; les religions sont invitées à tracer un chemin de paix pour être véritablement au service de la fraternité dans le monde (ch. 8). En nous ouvrant au Père de tous, nous reconnaissons notre condition universelle de frères et sœurs. Le pape espère un nouveau temps de fraternité entre tous les vivants.
Le document est long, grave, mais il a du souffle et se lit bien. L’écriture est fluide, parfois poétique, sans développement difficile à comprendre. Qui plus est, le lecteur peut s’y promener car il n’est pas nécessaire de tout lire à la suite. Des pauses peuvent ponctuer la lecture, des va-et-vient sont possibles et fructueux, en fonction des analyses et des paroles qui interpellent. Un tel texte se lit et se relit…
L’encyclique Laudato si’, cinq ans après sa publication, connaît toujours une grande audience ! Son influence ne cesse de croître ! Gageons que Fratelli tutti connaîtra aussi une grande postérité, tant la fraternité est le désir de tout un chacun, tant le rappel qu’il « nous faut constituer un ‘nous’ qui habite la maison commune » sous le regard d’un même Père est une bonne nouvelle universelle, source d’humanisation du monde. Tout est lié. Tous sont liés.
Joëlle Ferry
9 octobre 2020