Peut-on ressentir la présence de Dieu dans notre vie ?
Anne-Marie Aitken, xavière et accompagnatrice spirituelle, a répondu à cette question posée par un jeune sur Radio Notre-Dame.

Propos recueillis par Sophie de Villeneuve dans l’émission Mille questions à la foi du 19 novembre 2021.
Retranscription parue sur le site Croire.com et publiée ici avec l’aimable autorisation de La Croix.

Beaucoup de croyants aimeraient ressentir davantage la présence de Dieu dans leur vie. La relation à Dieu est-elle de l’ordre du sensible ?

Je répondrais que oui, Dieu se donne à sentir. Saint Ignace disait qu’il se communique à sa créature. Dans l’expérience de la prière, bien sûr, mais aussi dans la vie quotidienne. La prière chrétienne est une rencontre avec un Dieu d’amour qui est Père, Fils et Saint-Esprit, qui est tout autre que nous mais se fait proche de nous. Il veut rencontrer chacun d’entre nous avec ce qu’il est et tout ce qu’il vit, dans sa propre histoire. Comme il s’est fait connaître au peuple hébreu tout au long de la Bible, et à l’Église au cours de son histoire.

Mais peut-on le sentir avec tous ses sens ?

Oui, à condition que les sens soient évangélisés. Dans la prière, qui est un dialogue, Dieu a toujours l’initiative de la rencontre. Il nous adresse la parole et nous demande d’y répondre. La prière fait appel à tout mon être, à mes richesses et à mes pauvretés, à mes qualités et à mes défauts, ainsi qu’à mes sens : dans la prière, je regarde, j’écoute, je touche, je goûte… La prière fait aussi appel à ma mémoire, à mon intelligence, à ma liberté, et à mon cœur. Elle me met, dans le silence, à l’écoute de la présence de Dieu, et Dieu m’adresse la parole. Il me parle notamment dans les textes bibliques. Les gestes que Jésus pose dans les Évangiles avec le centurion romain, avec la Samaritaine, avec Zachée…, il continue de les faire aujourd’hui avec chacun d’entre nous, puisqu’il est ressuscité. Sa parole nous touche, elle provoque en nous des réactions – les spirituels parlent d’affects. Affectés par cette parole, nous ressentons des émotions et des sentiments.

Quel genre de sentiments ?

De la joie, de la paix, de la douceur, de la bonté en soi, un désir d’aimer plus fort, un désir de changer sa vie, d’aller vers les autres, un désir de conversion, une grande confiance. Certaines personnes disent même parfois qu’elles ressentent de la chaleur. La prière nous fait du bien. Nous connaissons bien des joies humaines, quand nous réussissons quelque chose par exemple, mais la prière peut donner une joie qui vient d’au-delà de nous et qui peut traverser même les épreuves et les douleurs. Parfois au contraire, la parole de Dieu crée en nous de grandes résistances. Ce que dit le Seigneur ne nous plaît pas toujours. On peut alors éprouver de la colère, ou encore de la tristesse, de l’amertume, un certain dégoût de vivre… Tout cela fait partie de la prière. L’important est d’essayer de discerner, de séparer ce qui se passe dans tous ces sentiments, et de se demander ce qui les provoque. Saint Paul dit dans l’épître aux Galates que le fruit de l’Esprit de Dieu, c’est toujours la charité, la joie, la paix, la longanimité, la serviabilité, la bonté, la confiance dans les autres, la maîtrise de soi, la douceur. Quand je ressens tout cela dans ma prière, je peux me dire que c’est l’Esprit de Dieu qui me l’inspire.

Est-ce ainsi que Dieu se fait sentir à nous ?

Exactement. Mais cela demande d’être vigilants à ce qui se passe dans notre prière, et de prendre le temps de le relire. Tous les matins, je note la météo de ma prière : soleil, pluie, grisaille, tempête…

Une nouvelle ou un événement peuvent-ils influencer votre prière ?

Je peux être affectée par quelque chose de douloureux, que la prière m’aide à traverser ou à apaiser. À l’inverse, quand des résistances fortes s’expriment dans la prière, il est probable qu’elles ne soient pas inspirées par l’Esprit du Seigneur, mais, comme disait saint Ignace, par « l’ennemi de la nature humaine ». Le malin vient s’y mettre et cherche à nous détourner de Dieu.

Comment s’y prend-il ?

Il met en nous de la tristesse, de l’amertume, de la jalousie, de la désolation… Et nous fait nous replier sur nous-mêmes. On s’en veut, on en veut aux autres, on en veut à Dieu. C’est assez facile à repérer. Ignace dit qu’il faut alors s’ancrer dans la prière et demander son aide à Dieu. Mais parfois c’est plus subtil, plus difficile à distinguer. Il faut commencer par repérer les sentiments qui nous habitent.

La vie spirituelle, finalement, est un vrai travail sur soi…

Oui, parce qu’elle englobe toute la vie quotidienne. Elle nous conduit à une plus grande connaissance de Dieu, mais aussi à une plus grande connaissance de nous-mêmes. Le chemin de cette vie intérieure nous conduit à une plus grande liberté intérieure, qui est aussi un signe de l’Esprit.

Qu’est-ce que la liberté intérieure ?

Être libre intérieurement, c’est être capable de prendre de la distance et de ne pas se laisser submerger par ce qui nous arrive. C’est pouvoir traverser les épreuves et les vivre avec le Seigneur. Je crois que toute liberté est d’abord intérieure, même si elle s’exprime à l’extérieur.

Pour sentir Dieu, faut-il obligatoirement passer par la prière ?

Cela peut aussi passer par la relecture de sa journée, sous le regard de Dieu. Je me regarde moi-même avec le regard qu’il porte sur moi. Je commence par rendre grâce pour ce qui m’a été donné – et trouver chaque jour un motif pour rendre grâce au Seigneur n’est pas toujours facile. Qu’est-ce que le Seigneur m’a donné de vivre pendant cette journée ? Lui ai-je répondu ? Me suis-je détournée de lui ? Suis-je passée à côté parce que j’étais dans la plainte ou dans la colère ? Quels sentiments m’ont animée ? Quel esprit a habité mon cœur ? En relisant ainsi chaque jour au fil des jours, je découvre petit à petit comment Dieu me conduit. Je peux aussi me faire aider par un accompagnateur spirituel en qui j’ai toute confiance.

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