Béatrice, xavière, est membre de l’équipe de direction de Salvert, près de Poitiers. Elle fait aussi partie du comité local pour l’emploi de l’Entreprise à But d’Emploi (EBE) de Migné-Auxances. Elle nous partage son intérêt pour cette structure en répondant aux questions de Chantal.

Béatrice, tu fais aujourd’hui partie du « Comité local pour l’Emploi » de l’« Entreprise à but d’emploi » de Migné-Auxances et c’est pour toi source de joie. Peux-tu nous dire pourquoi ?

Depuis très jeune, je suis interpellée par les personnes à la marge dans notre société. C’est pourquoi, après avoir été ingénieure cheffe de projet, je me suis réorientée professionnellement vers les réseaux d’insertion par l’activité économique et j’ai dirigé une entreprise et des chantiers d’insertion.
J’aime le monde de l’entreprise : en équipe, on vit des choses fortes ; mais c’est un monde qui va toujours plus vite et plus loin et l’exigence se transforme par certains aspects en dureté pour les personnes les plus vulnérables.
Du coup, j’ai un intérêt particulier pour ce qui touche à l’emploi des personnes en situation de « non-emploi » ; pouvoir entreprendre autrement me tient à cœur afin d’y mettre davantage d’humanité.

 

Comment  se situe ce projet « EBE » dans l’existant de l’insertion ?

Actuellement, l’insertion par l’activité économique (IAE) emploie et accompagne des personnes en difficulté pendant 2 ans. Pour certaines personnes, cette durée limitée est comme un couperet dans leur travail personnel de reconstruction et de retour à l’emploi. Elles ont besoin de plus de temps pour retrouver un rythme de travail « standard » ou pour se former aux besoins actuels des marchés de l’emploi (comme passer le permis de conduire). Les personnes doivent, d’une certaine manière, se conformer à la demande d’emploi ; pour celles qui ont complètement décroché, c’est difficile. Certaines font plusieurs parcours d’insertion, n’arrivent pas à tenir dans la proposition et finalement ne croient plus qu’elles puissent trouver leur place. C’est à ces personnes dites « privées durablement d’emploi » que les Entreprises à But d’Emploi (EBE) s’adressent. C’est une forme de prolongement des solutions que propose l’insertion.

Avec les EBE c’est l’emploi qui s’adapte aux possibilités de la personne en situation non-emploi et non l’inverse. Aussi il n’y a pas d’impératif de durée ; d’emblée la personne est recrutée en CDI et la personne choisit elle-même le nombre d’heures et les créneaux horaires qui lui sont possibles : cela lui permet de travailler en fonction de ses obligations, que ce soit des questions de santé ou d’organisation de vie familiale. Et cela peut évoluer avec la possibilité de la personne. C’est une façon de poser d’emblée un regard positif sur la personne.

 

Quels sont les fondamentaux des EBE ?

Ils sont au nombre de trois.

Il y a des personnes qui souhaitent travailler mais qui n’y arrivent pas car il y a comme une non-adéquation entre l’offre et la personne. Il faut prendre en compte les capacités et les compétences des personnes.

Il y a un grand nombre de travaux utiles, d’une grande diversité, qui attendent d’être réalisés. Il y a plein de choses à faire sur les territoires, que ce soit du côté de l’environnement, du service à la personne (comme la récupération de déchets, les petits travaux de bricolage)… qui ne sont pas rentables pour les entreprises classiques et donc non réalisées.

Il y a de l’argent… si l’on réoriente les coûts de la privation d’emploi pour financer la création d’emplois supplémentaires. Aussi, en 2023, on estime à 22 000 € par an et par personne l’argent versé pour le chômage et son surcoût social. Dans le cadre de la phase expérimentale, l’État a accepté qu’il y ait une dérogation afin que les EBE reçoivent cette somme pour chaque personne embauchée, permettant ainsi la solvabilité des services envisagés.

C’est donc un coût constant pour la collectivité, mais les services en attente sur le territoire sont rendus et les personnes changent de statut : elles deviennent salariées et non plus allocataires !

 

Comment se déroule la mise en place des EBE ?

Il y a eu une première phase expérimentale de 2016 à 2020. Dix territoires avaient été choisis, en ville (13e arrondissement de Paris) et en territoires ruraux. Les résultats se sont avérés très positifs. Les personnes bénéficiaires allaient mieux, avaient moins besoin de soins médicaux, se relevaient et retrouvaient un emploi, voire créaient au bout de 2, 3, 4 ans leur propre entreprise ! Dans cette première phase, certains territoires sont passés de 30 à 80 postes créés !

L’expérimentation se poursuit maintenant sur 5 nouvelles années pour une phase de finalisation, de (fin) 2020 à 2024. Le projet était de l’élargir à 50 ou 60 territoires… et ce sont en fait près de 120 territoires qui se sont portés candidats !

Et la suite ?

Si cette 2e phase d’expérimentation se confirme positive, avec des territoires Zéro chômeurs de longue durée, la dérogation actuelle pourrait se transformer en loi… une loi permettant une « assurance-emploi » et non plus une assurance chômage avec son système d’assistanat et de minima sociaux : ce serait une belle « révolution de société » au même titre que la sécurité sociale !

 

Quel est ton investissement personnel ?

Quand je suis arrivée à Salvert, j’ai tout de suite appris que la commune de Migné-Auxances voulait se lancer dans ce projet d’EBE ; j’ai rejoint l’équipe de départ.

Le premier temps a été de savoir s’il était possible de se lancer dans cette aventure, c’est-à-dire de créer des emplois supplémentaires non concurrentiels à ceux qui existent déjà sur le territoire. Il a donc fallu recenser sur le territoire les emplois possibles non couverts par les entreprises ordinaires… On n’imagine pas le nombre d’emplois que l’on peut créer ainsi !

Parallèlement, il a fallu rencontrer les personnes éligibles et volontaires : il y a eu une grosse campagne de communication. Puis, avec elles, lister les compétences qu’elles peuvent apporter : photo, jardinage, couture, informatique, garde d’animaux, accompagnement d’enfants, service à la personne….

Puis nous avons mis en place un « comité local pour l’emploi » = CLE. Il est composé de différents acteurs locaux : préfet, élus, associations, entreprises, pôle emploi, structures d’insertion par l’activité économique, habitants du territoire. Le CLE valide l’entrée des personnes dans l’EBE et régule le choix des activités assurées par l’EBE, afin qu’elles restent bien supplémentaires et non-concurrentielles à l’existant… Depuis que le CLE est créé, j’y siège au titre de Salvert, qui est acteur associatif et employeur sur le territoire.

Actuellement, le CLE de Migné-Auxances travaille au dossier d’habilitation auprès de l’État, nécessaire dans cette phase encore expérimentale afin de pouvoir être reconnue officiellement « EBE ». On espère qu’il pourra être présenté en 2024 !

En bref ?

Ce qui me touche dans cette démarche, c’est le fait de remettre l’économie au service de l’humain, c’est mettre les plus éloignés de l’emploi au cœur du projet et peut-être participer ainsi à une révolution sociétale !

Pour aller plus loin

Découvrez le reportage de France 2 sur l’EBE de Bléré, en Indre-et-Loire

Visitez le site TZCLD (Territoires zéro chômeur de longue durée) : https://www.tzcld.fr/