Lors de notre rassemblement à Lourdes l’été dernier, Mgr Jean-Marc Aveline a participé à la table ronde « Engagés dans le dialogue, partager la joie ». Il nous a fait part des trois découvertes qui ont jalonné son parcours dans le dialogue interreligieux.
Retrouvez ci-dessous la vidéo de son intervention.
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[Extraits]
Comme amorce de notre partage, je voudrais vous faire part de trois découvertes qui ont jalonné pour moi les années de travail dans le chantier des relations inter-religieuses.
La première découverte, c’est que, quand on y réfléchit bien, le geste premier est le geste de Dieu.
On a travaillé avec les religions, et on a eu tendance à penser, et moi avec, que le dialogue avec les différentes religions était important parce que nous mettions en commun nos recherches de Dieu, la façon dont nous croyions en lui ; nous échangions sur nos recherches humaines de Dieu. Pourtant, c’est une inversion totale de perspective qu’il faut faire. Le plus important n’est pas la multiplicité des chemins par lesquels les hommes cherchent Dieu, c’est l’immense variété des chemins par lesquels Dieu cherche l’homme et s’approche de chacun. […]
Des hommes et des femmes qui ne connaissent pas Dieu ne sont jamais laissés sans témoin aucun ; ils vont chercher dans des rites, dans des gestes, dans des textes sacrés de quoi assouvir la soif de Dieu qui est en eux. En confessant, nous, qu’ils sont, comme nous, créatures de Dieu, créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, alors nous avons un infini respect pour ces livres sacrés, ces gestes, ces rites dans lesquels des hommes et des femmes de cultures et de religions différentes vont chercher de quoi assouvir la soif de Dieu qu’ils ont en eux. Ce renversement de perspective, pour moi, a été une première découverte.
Une deuxième découverte a été qu’une fois que l’on a compris cela, comment définir la mission de l’Église ?
Ce n’est pas de convertir tout le monde, ou alors comme disait Jules Monchanin, ce serait peut-être apparemment un succès, mais si en même temps nous perdions toutes ces richesses culturelles de la recherche de Dieu qui s’est développée dans des cultures et des religions différentes, alors nous aurions apparemment un peu gagné mais sur le fond beaucoup perdu.
Non. La mission de l’Église, c’est d’apprendre à coopérer avec l’Esprit Saint. […] L’Église s’est toujours trompée lorsqu’elle a pensé que le centre de gravité c’était elle-même. Et même elle s’est trompée lorsqu’elle a pensé que le centre de gravité était sa relation avec Dieu. Le centre de gravité de la mission de l’Église, c’est la relation de Dieu avec le monde : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son propre fils » (Jn 3,16). […]
C’est un gros travail de conversion qu’un tel décentrement. L’Église est au service d’une relation entre Dieu et le monde. Voilà le centre de gravité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle-même, puisqu’elle est au service de cette relation, se définit plutôt comme un ministère que comme une religion. Elle n’a pas le monopole de la relation avec Dieu. Elle est au service, et c’est parce qu’elle se définit comme un ministère qu’elle s’organise en ministères, au pluriel. Et c’est parce qu’elle se définit comme un ministère et pas tellement comme une religion qu’elle n’est pas toujours très à l’aise lorsqu’on lui fait prendre la parole au milieu d’autres religieux, comme si les religions étaient le passage obligé pour la relation avec Dieu. Or on sait bien qu’une religion qui se prend elle-même pour son propre centre de gravité, une religion qui confond l’absolu de Dieu avec l’absolu de l’institution religieuse – et ça peut toujours arriver, même en christianisme – une telle religion devient plutôt un écran entre les hommes et Dieu qu’un service de la relation de Dieu avec les hommes.
Pour accomplir ce ministère, il suffit à l’Église, si j’ose dire, de coopérer avec l’Esprit Saint.
Cela veut dire d’apprendre d’abord à voir comment il fait. Il n’y a rien de pire que quelqu’un qui arrive pour mener son évangélisation et qui ne commence pas par regarder. L’Esprit est déjà là. J’ai lu dans votre dernier numéro de Dialogue cette phrase qui m’inspire aussi pour ce deuxième point : on n’a pas tellement à apporter Dieu au monde qu’à l’y découvrir, car il y est déjà. Et donc, c’est tout un art, c’est l’art de la pastorale, que d’apprendre à coopérer avec l’Esprit Saint. Que suscite-t-il ?
L’Esprit Saint, le critère pour le trouver, ce n’est pas l’abondance de vocabulaire religieux. On le trouve dans l’art, on le trouve dans toutes sortes de choses de la culture…
Apprendre à coopérer avec l’Esprit Saint… Pour moi, c’est une des très belles intuitions de La Xavière. Mais c’est un service pour l’Église. Et comment coopérerions-nous avec l’Esprit saint si on ne commençait par relire nos propres vies pour voir comment il s’y est pris avec nous et comment il continue à s’y prendre ? C’est la deuxième découverte.
J’ajoute à cela que quand on accompagne de quelque manière que ce soit, dans l’apostolat que l’on a – et vous êtes bien placées pour savoir que l’apostolat n’est pas réductible à des opérations dites ecclésiales, que tout métier, que toute présence, que tout travail, que toute vie est au contact du travail de l’Esprit Saint -, même si on ne vient pas avec une étiquette de nomination pastorale précise, ce qui compte, c’est de repérer le travail de l’Esprit dans les traces du mystère pascal de toute existence humaine […], les traces qui passent par l’épreuve, les morts, les résurrections, les traces de vie, les traces du mystère pascal. Souvenez-vous, Gaudium et Spes 22,5 : « L’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. »
C’était la deuxième découverte pour moi.
Et la troisième découverte, c’est que nous avons une responsabilité.
[…] Quelle est cette responsabilité ? Comme dit Saint Jean (Jn 11,52) : travailler à « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés ». Il y a dans l’Église une vocation à la catholicité. Mais comprenons-nous bien. Catholique ici ne veut pas dire « eh bien, on n’est pas protestants » ou « on n’est pas orthodoxes ». Non. Cela est un qualificatif. Mais catholique, c’est une vocation : « selon le tout ».
La catholicité est le concept ecclésiologique qui correspond au concept christologique de « récapitulation ». Dieu finira par tout récapituler en son Fils, et l’Église coopère à ce travail de récapitulation. C’est là sa vocation à la catholicité.
Permettez-moi aussi de suggérer – mais vous voyez bien que ce sont des pistes de recherche – que d’une certaine manière l’Église n’a pas le monopole de cette vocation à la catholicité.
Je voudrais vous lire un petit passage d’une conférence donnée en 1933 à Stuttgart par Martin Buber, juif, allemand. Il disait ceci : « Qu’il y ait des mystères les uns à côté des autres, c’est le mystère de Dieu. Que le monde existe comme une maison dans laquelle ces mystères demeurent, c’est l’affaire de Dieu. Car le monde est une maison de Dieu. Et il ne s’agit pas de nous évader de notre foi, ni de ruser avec nos différences pour aboutir à une hypothétique communion. Il s’agit plutôt de reconnaitre notre différence profonde et de nous communiquer, dans une confiance absolue, ce que nous savons sur l’unité de cette maison dans laquelle nous espérons qu’un jour nous serons réunis sans murs de séparation. » 1933 ! « C’est ainsi que nous servons séparément mais ensemble tout de même jusqu’au moment où nous serons tous, comme il est dit dans une prière juive de la fête de Rosh Hashana « une unique alliance pour accomplir sa volonté. »
On trouverait des textes analogues ailleurs. Mais pour moi, ils ont été aussi l’indice d’une découverte : c’est que le dialogue vient de Dieu, conduit à Dieu dans la mesure où travaillant avec l’Esprit et reconnaissant que nous n’avons pas le monopole de cette récapitulation de tout en Christ, nous essayons de vivre la vocation de l’Église à la catholicité en vivant tout simplement les relations qui nous sont données de vivre, en coopérant avec l’Esprit Saint.
Mgr Jean-Marc Aveline
Lourdes – 1er août 2021
