Pertinence du charisme de La Xavière en Afrique

La Xavière a été fondée en France. Son charisme est-il pertinent en Afrique ? C’est ce que nous avons demandé à la sœur Marie-Cécile, actuellement en communauté à Yaoundé, au Cameroun.

C’est un thème un peu difficile qui m’a été demandé ! La pertinence : cela veut dire est-ce adapté, judicieux , opportun, est-ce que cela convient ?
Charisme : c’est plus difficile encore à expliquer. On pourrait dire : c’est le cœur qui nous fait vivre.
Est-ce que ce qui  fait vivre les sœurs xavières est adapté à la Côte d’Ivoire, au Tchad et au Cameroun, où nous sommes implantées ?

Je vais essayer de répondre à cette question !

On dit souvent : il y a beaucoup de congrégations masculines et encore plus féminines. C’est à dire plusieurs sortes de sœurs, de frères. Qu’est-ce qui les distingue ? Pourquoi il n’y a pas une seule congrégation?… ce serait  plus simple !

Je vais prendre une comparaison : regardez les fleurs. Qu’est-ce qu’une fleur ? il y a une tige, des pétales. Mais regardez comme elles sont différentes : il y en a des grosses, des petites, des roses, des violettes, des jaunes…elles n’ont pas la même odeur, certaines ont des épines.  Elles ne poussent pas toutes au même endroit. Imaginez qu’il y ait une seule sorte de fleurs : est-ce que l’on pourrait faire des bouquets  aussi jolis ?
Le Seigneur a voulu cette immense variété pour le plaisir de nos yeux, de notre nez…et en même temps ce sont toutes des fleurs !

Le Seigneur fait pareil pour les sœurs : il désire des gens complètement à son service, qui le suivent…mais chacun dans sa diversité, sa couleur, son odeur.

Qu’est-ce qui est commun ? C’est l’Evangile. Nous nous référons tous à l’Evangile de Jésus.

Mais quand on regarde Jésus, il a beaucoup de visages : Jésus qui enseigne, Jésus qui guérit, Jésus qui pleure, Jésus attentionné à la douleur de chacun, Jésus qui travaille à Nazareth, Jésus qui vient de naître, Jésus qui dit : lève toi, Jésus qui console, etc…
Et quand nous prions avec la Parole de Dieu, si on y fait bien attention, il y a un aspect de Jésus qui nous touche davantage, qui nous attire…

Quand Jésus veut une nouvelle congrégation, des nouvelles sœurs ou frères à son service, il appelle un homme, une femme que plus tard on appellera fondateur, ou fondatrice, et il va l’attirer par un aspect particulier de ce qu’il est.
La fondatrice des xavières s’appelle Claire Monestès. Elle a vécu fin 19è et début du 20è siècle.

La figure de Jésus qui va marquer Claire, c’est Jésus qui rassemble. On pense aussitôt au berger qui rassemble ses brebis. Mais la figure de celui qui rassemble c’est aussi le Roi ; c’est lui qui rassemble son peuple et qui appelle à travailler avec tous pour le bien de son peuple.

Jésus le Roi c’est celui qui attire Claire avec 2 aspects : qui attire et rassemble. C’est aussi Jésus qui est sur la croix : « élevé de terre j’attirerai tout le monde à moi ». Et le Roi que nous suivons c’est un roi bafoué, humilié. Il y a ces 2 volets : suivre Jésus qui nous rassemble tous dans sa gloire, mais le suivre aussi dans sa croix.

C’est cela qui est le cœur de notre vocation de xavières : participer à la mission du Christ de rassembler dans l’unité tous les enfants de Dieu dispersés (c’est-à-dire l’humanité, la création toute entière). C’est cela qui fait notre unité, le même esprit, quels que soient nos activités ou engagements.

Pour vivre ce cœur nous avons bien sûr des accents particuliers

D’abord notre nom : xavières . il vient du nom de St François Xavier. C’est un saint (du 16è siècle) que Claire Monestès aimait beaucoup, car il avait un élan missionnaire et voulait porter Jésus dans le monde entier. Il a été en Inde, au Japon et est mort devant les portes de la Chine. A  la fin de sa vie, il s’est rendu compte que ce n’est pas lui qui apportait  Jésus aux autres : car Jésus lui-même  est avant lui (Il nous précède en Galilée) et c’est Jésus que François-Xavier  découvre dans les autres, par les autres.  Xavières, nous essayons d’avoir le même désir : connaître et aimer le monde dans lequel nous sommes, travaillant à le rendre plus humain, pour le conduire davantage au Christ,

Cette attitude nous invite à aller à la rencontre de l’autre, de tout autre quel qu’il soit, soit par notre travail (il faut bien gagner sa vie, ) mais aussi par le voisinage, la paroisse, les diverses activités. Certains d’entre vous peuvent se dire qu’on ne nous voit pas, parce que nous n’avons pas de tenue, qu’on ne sait pas très bien ce que nous faisons…mais partout c’est le même esprit : rejoindre l’autre là où il est, comme il est et l’aider à être plus heureux.

Aller à la rencontre de l’autre cela entraîne un autre aspect qui nous est cher : faire le lien, on peut dire aujourd’hui construire des ponts et non des murs. Faire le lien entre des milieux très divers que nous côtoyons les unes les autres, être lien entre l’Église et ceux dont elle est loin,  comme Marie à Cana, la sainte Vierge qui voit qu’ils n’ont plus de vin et fait le lien entre son Fils Jésus et les serviteurs. Aujourd’hui les sociétés se divisent de plus en plus (familles, ethnie, politique, religion, écart grandissant entre les classes sociales, etc). Par notre charisme  nous essayons à notre mesure de traverser les frontières des divisions et d’établir des ponts.

Ensuite, là où nous sommes nous faisons attention à tout ce qui peut favoriser l’unité, la réconciliation, la paix. Etre des instruments de paix. Que ce soit dans notre travail, en communauté entre nous, dans les familles, les paroisses. A Abobo (Abidjan, Côte d’Ivoire), nous avons lancé ces clubs de la paix en plein quartier dans ce pays qui a été traversé par plus de 10 ans de crise. C’est important d’aider à une réconciliation profonde et durable.

Nos communautés interculturelles peuvent aussi témoigner d’une vie fraternelle possible,  entre africaines et européennes,  entre africaines de différentes ethnies, de différents pays, entre milieux sociaux différents ou niveau d’études.

J’ajouterai aussi notre sensibilité à collaborer à l’unité des chrétiens et au dialogue interreligieux, en particulier avec le judaïsme et l’Islam. par la réflexion, la prière et l’action, en étant plus attentives à ce qui unit qu’à ce qui divise, et sans oublier ce qui nous sépare.

Un autre accent que désirait notre fondatrice : adaptons-nous perpétuellement, cela veut dire qu’il faut être plus attentives au monde d’aujourd’hui qu’à celui d’hier. Cela veut dire aussi accueillir les aspirations et les initiatives qui naissent dans le monde. Donc déceler les besoins dans les milieux où nous vivons afin de réorienter ou réinventer notre mission en fonction des besoins de notre temps. Il y a 50 ans, notre charisme s’est exprimé dans ce désir du développement de tout homme et de tous les hommes. Aujourd’hui c’est la même chose mais nous allons trouver  d’autres expressions pour le monde d’aujourd’hui. Notre charisme ne nous cantonne pas dans une seule ligne. Il faut une certaine souplesse pour répondre aux appels que nous entendons.

Pour terminer, je veux dire que ce désir d’aider tout homme à grandir dans son humanité en Christ, passe par le partage de notre spiritualité à la suite de St Ignace de Loyola. Cette spiritualité ignatienne nous apporte de bons outils pour connaitre Jésus à travers sa parole, pour discerner, pour nous donner une colonne vertébrale chrétienne, pour vivre en chrétien libre, responsable et…heureux. et là vous savez que nous sommes toujours prêtes à partager ces outils (récollection , initiation à la vie spirituelle, etc)

Voilà . Je ne sais pas si j’ai répondu à la question. C’est peut-être à vous de dire si cela vous semble pertinent. Je peux ajouter que ce charisme n’est pas notre propriété.. ; c’est un cadeau de Dieu…pas uniquement pour les 3 pays où nous sommes en Afrique, mais aussi pour tout le continent….et je pense pour le monde entier !

Une aventure qui se construit

Notre mission en Afrique

Lorsque nous avons été reconnues par l’Église en 1963, nous n’étions que 24 professes. Quatre ans plus tard, en 1967, nous n’étions guère plus nombreuses, mais nous avons répondu à un appel qui nous a dynamisées. Nous sortions pour la 1ère fois de nos frontières de France.

Globalement, on peut distinguer quatre grandes étapes de cette mission au cours du temps en lien avec les événements et les contextes traversés.

Période 1967- 1987 : LA FONDATION

A Abidjan, en octobre 1967, quatre xavières font face à la mer. Elles sont arrivées depuis un mois à peine. Pieds nus dans le sable, elles regardent la barre, ce grand rouleau que ne peuvent franchir que des nageurs expérimentés. Au-delà de la barre l’océan s’étend à l’infini. C’est tout un symbole ! Elles viennent d’arriver en Afrique. Elles voient un grand espace s’ouvrir devant elles, mais il y a une barre à franchir, celle de l’inculturation. Il faut se laisser tremper, risquer ses certitudes dans la confrontation.

Abidjan-Cocody 1973

En 1967, une demande des pères jésuites de L’Institut Africain pour le Développement Économique et Social (INADES) est l’occasion qui permettra à la Xavière de concrétiser son désir de partir en Afrique.

L’INADES propose aux paysans une formation aux techniques agricoles à travers des documents en français facile. L’objectif visé est d’améliorer leur rendement et de freiner ainsi l’exode rural.

Quatre des 6 xavières envoyées à Abidjan y travaillent dans l’esprit de l’Encyclique Populorum Progressio de Paul VI : « Travailler au développement de l’homme et de tout l’homme ». Les 2 autres xavières sont dans l’enseignement (au Lycée) et en pastorale.

C’est ainsi qu’est fondée la communauté d’Abidjan, la première en Afrique et la quatrième fondation de l’histoire de la Xavière.

Korhogo 1975

Quelques années après, dans le prolongement de leur mission au service du développement à l’INADES, deux xavières partent en pionnières à Korhogo, dans le Nord de la Côte d’ivoire.

Après un long temps d’approche des populations, elles créent l’A.R.K. une association d’animation rurale. Cette expérience suscitera la fondation de la communauté de Korhogo en 1972.

L’ouverture de cette communauté est vécue comme un « renouveau de souffle missionnaire et un élargissement des horizons de la Xavière »

L’ouverture de la communauté de N’Djamena en 1983, à la demande de Mgr Charles Vandame, amorce un tournant dans la manière de percevoir notre présence et mission en Afrique.

N’Djaména 1987

C’est autant un engagement pour l’aide et la promotion du développement qu’un « compagnonnage avec », vivre et tisser des liens : « la communauté fait l’expérience de l’enfouissement dans un quartier totalement musulman sans rien d’autre à faire que d’être là, de vivre et de tisser des liens avec le voisinage immédiat. Chacune essaie de prendre part au travail de reconstruction du pays, cherche à redonner espérance, essaie d’être un lien de réconciliation de rencontre possible entre milieux si différents Nord Sud, Musulmans/chrétiens » (rapport moral, au Chapitre Général de 1987)

Dès lors, la mission de la Xavière en Afrique sera davantage marquée par le mystère de l’Incarnation, ainsi que la vocation à être ferment de réconciliation dans un pays divisé.

Période 1987-1997 : « DANS LE MOUVEMENT DE L’INCARNATION »

A notre Chapitre Général de 1987, à la suite d’un temps de discernement communautaire et d’écoute de l’Esprit, le texte sur « Notre mission en Afrique » est rédigé et ratifié. Le texte met l’accent sur l’Incarnation (notamment comme figure de l’inculturation) « Entrer dans le mouvement de l’incarnation, c’est tout d’abord estimer les cultures que nous découvrons, nous laisser déposséder de toute espèce de supériorité culturelle, religieuse ou apostolique, dans le mouvement de dépouillement du Christ (Phil 2), pour recevoir de ceux qui nous accueillent, richesses humaines et spirituelles, appels et angoisses. Nous avons à nous laisser dépayser jusque dans notre sensibilité nos références et nos valeurs. »

Le texte met aussi en exergue le désir de vivre dans une solidarité étroite avec nos frères africains ; un désir qui se traduit par l’espoir de voir arriver des vocations africaines. Car, poursuit le texte, « solidaire, la Xavière le sera plus intimement grâce aux vocations religieuses africaines que le Seigneur suscitera ». Le Seigneur nous a exaucées : en 1998, a eu lieu la première célébration des vœux définitifs d’une xavière africaine, suivie d’une autre en l’an 2000.

Les engagements apostoliques, dans le domaine de la formation humaine et spirituelle côtoient ceux de la promotion de la justice et du développement, ainsi que l’annonce de l’Évangile en actes et en paroles. Le souhait de travailler avec d’autres et en partenariat avec l’Église locale est redit. Concrètement, de nouvelles insertions ont vu le jour dans l’animation urbaine, la vie familiale, les domaines pastorales et culturels.

Les xavières prennent une part active dans le développement des propositions liées à la spiritualité ignatienne (CVX, groupe Ignatien) notamment à Abidjan. Le champ s’élargit aux plus pauvres, avec le souhait de promouvoir aussi la lutte pour la justice.

Période 1997-2006 : « ÊTRE MISES AVEC LE CHRIST DANS SA PASSION POUR L’AFRIQUE »

Des événements forts, en particulier la mort de Christine d’Hérouville au Tchad en Janvier 1997, nous font mesurer la gravité et la radicalité du don de nous-mêmes auquel nous sommes appelées, posant d’une manière nouvelle le fondement de notre présence sur ce continent : «  Être mises avec le Christ dans sa Passion pour l’Afrique… »

Communauté d’Abidjan-Abobo

A partir de l’année 2000, la mise avec le Christ dans sa passion va se concrétiser dans les événements que traverse la Côte d’Ivoire. L’implication historique de la France dans les affaires ivoiriennes et son positionnement dans la crise créent des mouvements antifrançais au sein de la population.

Abidjan-Abobo 2005

L’expérience du vécu en communauté avec deux nationalités, françaises et ivoiriennes, nous fait découvrir à la fois notre identité commune et en même temps les difficultés liées à nos cultures différentes et à nos histoires collectives.

Notre vie fraternelle en communauté devient alors signe parlant de la fraternité à laquelle nous sommes toutes et tous appelés dans le Christ.

La consolidation de notre présence en Afrique va se faire au fil des ans par des décisions importantes. Dans la banlieue d’Abidjan, la communauté d’Abobo s’ouvrira en septembre 2002.

On note aussi la progressive structuration des communautés d’Afrique en « Région Afrique » et l’intensification de la pastorale des vocations.

Depuis 2006, ENVOYÉES AU SERVICE DE LA RÉCONCILIATION, DE LA JUSTICE ET DE LA PAIX

Un nouvel élan nous a est donné avec l’arrivée de plusieurs jeunes femmes africaines, l’ouverture d’un noviciat en Afrique et, pour l’accueillir, la création de la communauté de Yaoundé en septembre 2006.

Yaoundé 2009

Au niveau de l’Église, c’est aussi en 2006, qu’un nouveau souffle a été donné au continent africain à travers le lancement du 2ème synode pour l’Afrique, sa préparation puis sa tenue en 2009 et sa réception avec l’exhortation apostolique post-synodale Africae Munus en 2011, « au service de la réconciliation, de la justice et de la paix ».

Ces repères donnés nous rejoignent profondément aujourd’hui dans notre vocation de xavières.