Joëlle Ferry a récemment donné une conférence sur « l’Eucharistie, source et sommet de la vie chrétienne ». A l’occasion de la fête du Saint-Sacrement, nous en citons quelques extraits.

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Un sacrement de la présence

« Faires-ceci en mémoire de moi » . C’est dans la fidélité à cette parole du Christ que, depuis deux millénaires, nous nous rassemblons et que nous confessons que Jésus est réellement présent dans le sacrement de sa vie livrée, donnée.

Les évangiles nous montrent Jésus présent et attentif, tout au long de son existence, à ses disciples, à tel homme, telle femme, un malade, un aveugle, un paralysée, une veuve, un jeune homme qui l’interroge, à une multitude de personnes sur les chemins de Palestine.
Dans l’Eucharistie, Jésus est là, Il se rend présent, à la veille de sa mort, par les médiations du pain rompu et de la coupe de l’alliance nouvelle en son sang.

Quand les disciples voudront faire mémoire de Lui, ils reprendront ce que Jésus a fait. Rien ne peut le rendre plus présent que ce geste dans lequel il s’est livré tout entier. Les disciples d’Emmaüs en témoignent, eux qui l’ont reconnu à la « fraction du pain. » Aujourd’hui encore, quand les disciples que nous sommes veulent faire mémoire de Lui, ils reprennent ce geste dans lequel il se donne à nous.

Vivre dans une dynamique eucharistique, c’est vivre pleinement le sacrement de sa présence. C’est vivre toutes choses en Lui, vivre simplement dans la présence à soi, aux autres, à Dieu.

L’Eucharistie est le lieu par excellence de la présence de Jésus, mais il n’est pas le seul. Jésus est présent dans sa parole, dans les Écritures, à ses disciples, au moindre de ses frères et sœurs auxquels il s’est identifié. On parle parfois du « sacrement du frère ».

Le travail

Une autre facette de l’Eucharistie est le travail, important pour l’eucharistie, qui est mentionnée au moment de l’offertoire.

Jésus, qui a travaillé pendant toute une partie de sa vie, la ‘vie cachée’, a voulu que le blé et le raisin, fruits de la terre travaillée par des mains humaines, transportés aujourd’hui par des milliers d’autres deviennent le signe de sa présence au milieu de nous. Le Seigneur a tenu à entrer en dépendance du travail des hommes pour que sa présence soit rendue possible, dans la logique de l’Incarnation. Le travail est du côté de l’effort, pour se procurer ce qui est nécessaire pour vivre. Le vin est à la fois du côté du travail et de la fête.

L’offertoire est un moment d’offrande, d’engagement de notre être au service de la Bonne Nouvelle évangélique. Cette offrande se vit dans le signe du pain et du vin, réalités fruit du travail, de la terre, pain et vin qui sont consommés lors d’un repas. La nourriture est une dimension importante de la vie humaine, comme de la Bible, des évangiles où Jésus participe à de nombreux repas, y compris après la résurrection lorsqu’il se manifeste à des disciples au bord du lac. Le pain est destiné à être mangé, le vin à être bu…

Le travail est la réalité de notre vie humaine. Il est concrètement ce qui permet de vivre (gagner sa vie), de créer, de vivre le réel de la vie sur cette terre, d’être en relation…
Le Père Varillon aimait dire : « Dieu divinise ce que nous humanisons ». S’il n’y a pas de labeur d’humanisation au sens large et divers, il n’y a rien à diviniser ! rien à « eucharistier ».

Envoi final

Le temps de l’Eucharistie dominicale est aussi communément « la messe ». Que signifie ce mot bien particulier ? Il vient du latin qui signifie « envoyer ». L’Eucharistie est une dynamique en ce qu’elle nous envoie annoncer l’Évangile au monde.

Pour le dire autrement, l’Eucharistie est missionnaire, l’unité qu’elle crée (le corps ecclésial du Christ) est ouverte sur le monde qui attend la Bonne Nouvelle. Elle convoque l’Église à vivre « en sortie ». Elle fait de nous un peuple de témoins, témoins de l‘amour de Dieu que nous recevons pour le communiquer autour de nous.

Nous sommes invités à concrétiser autour de nous ce que nous recevons dans le sacrement. « Nourris de ce pain, nous ne pouvons être rassasiés aussi longtemps que des hommes sont affamés : affamés de pain et affamés de dignité, de justice et d’amour, de tout ce qui rend l’homme humain. … dans un engagement quotidien et concret pour que le Règne de Dieu devienne réalité » (Pierre Claverie).

L'expérience de témoins

Il est éclairant de voir ce que des croyants, des auteurs spirituels, disent de l’Eucharistie, soulignant que toute la vie est eucharistique… L’Eucharistie est un mode d’exister, un style de vie… Cette présentation a mêlé l’expérience du Christ, celle de chrétiens, la nôtre… Quand on lit des écrits de chrétiens (en voie vers la sainteté !), on perçoit cette dynamique eucharistique. Je cite seulement trois figures dont la spiritualité fut eucharistique, avec des accents spécifiques :

Charles de Foucauld, (1858-1916) assassiné dans le Sahara algérien, canonisé le 15 mai dernier.
Charles de Foucauld, après sa conversion, a été d’abord religieux cistercien frère plus de 10 ans, puis a été ordonné prêtre en 1902 avant de partir pour le Sahara. Charles de Foucauld passe des heures en adoration : temps de l’intimité et de la gratuité, temps de l’amour. Voici ce qu’il écrit, dans un langage à la fois différent de ce que nous vivons (ermite au Sahara…), mais aussi proche :
« Nous sommes nourris dans cette rencontre, écrit-il, d’une ‘manière d’être’ conforme à la tienne, ô Jésus. Comment m’apparais-tu dans l’Eucharistie ? Sous les signes infiniment humbles du pain et du vin, tu es là, discrètement, et tu ne fais rien pour t’imposer à moi ou chercher à me séduire. Tu attends une démarche libre, confiante en ta Parole, sur laquelle je mise totalement. O l’impressionnant silence de l’eucharistie ! A mon tour, vivant de ta vie, c’est cette présence humble et silencieuse, animée du même respect divin et du même amour, que je porte au milieu de mes frères. Le style de mon témoignage, comme l’ardeur de ma charité fraternelle, découlent de l’eucharistie. »

Madeleine Delbrêl, (1904-1964) dont le diocèse de Créteil espère une béatification prochaine.
Madeleine vit l’eucharistie au cœur du monde, dans une dimension intérieure et missionnaire à la fois. Elle donne une très grande importance à l’Eucharistie quotidienne (qui lui rappelle l’ampleur de l’alliance), et vit une mission dévorante au cœur du monde, à Ivry, en banlieue parisienne. « Christ nous assimile à lui, et nous devenons eucharistie pour nos frères. » Elle vit la sainteté des gens ordinaires, au milieu de la foule.

Pierre Claverie (1938-1996) assassiné à Oran le 1er août 1996.
Béatifié avec les martyrs d’Algérie, les moines de Tibhirine, le 8 décembre 2018. Sa mort est l’expression du don de sa vie, livré pour que le monde ait la vie, dans une relation vitale et fraternelle avec l’Islam.
« L’Eucharistie donne à notre vie son orientation, son mouvement, sa consistance. C’est pourquoi il est important d’y revenir souvent et d’y entrer aussi profondément que possible, de se laisser façonner par elle au jour le jour. »